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Finance durable

La finance durable : l’avenir des investissements français

Kevin Martins
Consultant

Les Français de plus en plus tournés vers les placements durables

On assiste aujourd’hui à une prise de conscience croissante des enjeux environnementaux et sociétaux. La problématique du réchauffement climatique est devenue centrale dans le discours médiatique. Dans cette perspective, les investisseurs sont de plus en plus sensibles à l’impact environnemental de leur épargne et souhaitent l’orienter vers des secteurs d’activités moins polluants, plus durables.

Les statistiques le confirment : selon Novethic[1], le marché des fonds durables en France représentait 896 milliards d’euros d’encours au 31 décembre 2021, soit + 94 % sur un an.

Une étude OpinionWay d’avril 2023[2] indique que 75 % des Français considèrent l’impact des placements sur l’environnement comme un sujet important et plus d’un Français sur deux déclare prendre en compte la problématique du développement durable dans l’orientation de son épargne. On constate un écart générationnel en la matière avec une plus forte proportion des moins de 35 à considérer les placements durables comme pertinents (33 % versus 25 % dans l’ensemble de la population).

L’offre du marché répond à cette prise de conscience

Pour faire face à ces nouveaux enjeux, les acteurs des marchés financiers intègrent de nouveaux fonds dits « durables » dans leurs enveloppes d’investissement. Il s’agit même d’une nouvelle obligation réglementaire. Ainsi, depuis le 1er janvier 2022, le Code des Assurances impose aux assureurs de proposer – pour chaque produit – au moins un support :

  • labellisé « ISR » (Investissement Socialement Responsable)
  • labellisé « Greenfin »
  • solidaire, labellisé « Finansol » par exemple

Les fonds ISR doivent prendre en compte des critères extra-financiers, dits « ESG » (Environnementaux, Sociaux et Gouvernance) en plus des critères financiers dans leurs choix d’investissement :

  • Le critère environnemental mesure l’impact de l’entreprise sur l’environnement (par exemple : les émissions de CO², le recyclage des déchets, …)
  • Le critère social montre la relation de l’entreprise vis-à-vis de ses parties prenantes (par exemple : la qualité du dialogue social, le respect des droits humains, …)
  • Le critère gouvernance porte sur la façon dont l’entreprise est dirigée, administrée et contrôlée (par exemple : la lutte contre la corruption, la transparence de la rémunération des dirigeants, …)

Le label Greenfin est attribué aux fonds investissant dans l’économie verte, c’est-à-dire qui participent à la transition énergétique et écologique. Il exclut les entreprises opérant dans le secteur nucléaire et les énergies fossiles. Ainsi, il est plus exigeant que le label ISR sur les critères environnementaux.

Quant aux fonds dédiés à l’économie sociale et solidaire (ESS), ils peuvent obtenir le label Finansol qui cible des activités à forte utilité sociale et / ou environnementale. Les secteurs d’activités financés sont principalement :

  • L’emploi et la création d’entreprise
  • Le logement social
  • Les activités écologiques
  • L’entreprenariat dans les pays en développement

Les fonds labellisés ISR sont les plus représentés, avec actuellement près de 1200 fonds ISR contre environ 200 fonds Finansol et une centaine de fonds Greenfin.

À ces labels s’ajoute une classification des fonds en matière d’investissement durable. Depuis le 10 mars 2021, le règlement européen SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) impose une classification des fonds en trois articles :

  • Article 6 : fonds sans objectifs de durabilité
  • Article 8 : fonds avec objectifs de durabilité qui intègrent les critères ESG dans leur gestion et promeuvent des caractéristiques environnementales et (ou) sociales mais qui n’ont pas d’objectif d’investissement durable.
  • Article 9 : fonds avec un objectif d’investissement durable. Ils sont soumis à des obligations d’explication méthodologique, d’évaluation et d’amélioration de critères de transparence. C’est l’article le plus difficile à obtenir. Ces fonds sont également appelés « super verts » ou « dark green ».

Ces fonds durables se multiplient dans chaque enveloppe d’investissement : PEA, assurance-vie, PER, PEE, CTO, etc. répondant ainsi aux nouveaux besoins des investisseurs.

Pour cela, l’épargnant peut donc s’intéresser aux labels et à la classification SFDR qui répond à ses convictions. Il peut même combiner plusieurs labels en plus de l’article 9 pour obtenir une sélection de fonds renforcée en matière d’investissement durable. Il disposera ainsi d’une allocation patrimoniale responsable sur mesure puisque reposant sur ses propres valeurs.

Pour les personnes qui n’ont pas le temps et / ou les connaissances pour identifier des fonds durables, des gestions pilotées 100 % éco-responsables ont été créées par les acteurs financiers.

Ainsi, Yomoni et Nalo, deux Fintechs lancées en 2015 et 2017, proposent d’investir dans des assurances-vie responsables. Celles-ci sont en gestion pilotée, c’est-à-dire que la gestion de l’épargne est confiée à un professionnel qui sélectionne lui-même les fonds responsables en fonction du profil investisseur de l’épargnant. La société Goodvest, Fintech créée en 2020, présente un PER en gestion pilotée investissant dans des fonds respectant des critères environnementaux et éthiques stricts.

Une labellisation pas toujours si verte

Pour ceux qui souhaitent investir eux-mêmes dans des fonds responsables, il apparaît nécessaire d’examiner la composition des fonds dans les reportings pour vérifier si les sociétés présentes sont bien en accord avec les valeurs environnementales et sociétales de l’investisseur.

En effet, pour l’attribution du label ISR, il n’existe pas de critères standards qui définissent les activités durables d’une entreprise. Dès lors, la définition de la durabilité incombe aux gestionnaires des fonds. Ce label est ainsi souvent critiqué pour son manque d’homogénéité, sa souplesse dans les critères d’éligibilité (que l’on constate au vu du nombre de fonds labellisés ISR) et son déficit de transparence quant à la performance écologique et sociale des fonds labellisés.

Le label Greenfin est plus exigeant que le label ISR puisqu’il exclut les entreprises du secteur nucléaire et des énergies fossiles mais il ne garantit pas que le fonds investit à 100 % dans des éco-activités. En effet, un fonds peut très bien inclure une poche composée d’entreprises ne réalisant aucun ou très peu de chiffre d’affaires dans des éco-activités et être labellisé Greenfin.

Le label Finansol semble être le choix le plus restrictif puisqu’il offre une garantie de l’affectation de l’épargne au financement de l’économie sociale et solidaire et une transparence sur la composition du produit.

Quant à l’article 9, un consortium de journalistes dont Follow the Money et Le Monde a montré en 2022 dans une enquête intitulée The Great Green Investment Investigation que près de la moitié des fonds classés en article 9 investissaient dans des secteurs d’activités liés aux énergies fossiles et à l’aviation. En effet, la définition d’un investissement durable reste relativement floue à ce stade. Chaque gérant peut avoir sa propre interprétation et des fonds peuvent être classés en article 8 ou en article 9.

La Commission Européenne a d’ailleurs été sollicitée pour apporter des précisions sur les critères de durabilité permettant de définir un fonds article 9, mais elle a indiqué qu’elle n’apporterait pas de réponse à cette question et laisse ainsi au secteur financier la possibilité de choisir ce qu’il considère comme un actif durable.

Performance et durabilité apparaissent comme compatibles

Un fonds durable opère un filtre dans sa sélection de sociétés pour répondre à ses objectifs de durabilité, contrairement à un fonds classique qui a plus de liberté dans le choix de ses sociétés. Cette pratique entraîne une moindre diversification du portefeuille du fonds, et mathématiquement une dégradation théorique du couple rendement / risque.

Or, si l’on prend comme exemple l’indice MSCI World (indice qui représente le marché des actions internationales regroupant 23 pays développés avec environ 1500 sociétés), sa performance est plus faible que celle de son homologue ISR (qui se compose d’environ 400 sociétés) sur de longues périodes.

Entre 2009 et 2022, l’indice « MSCI World ISR » affiche une performance moyenne annualisée légèrement supérieure à celle de l’indice « MSCI World » avec une moindre volatilité (cf. graphique ci-dessous).

Le rapport rendement / risque est donc en faveur du « MSCI World ISR ».

Plusieurs facteurs expliqueraient cette meilleure performance des fonds durables :

  • Les entreprises éthiques et respectueuses des considérations ESG auraient une meilleure gestion des risques, des activités plus pérennes et des relations de qualité avec leurs parties prenantes
  • Ils détiendraient davantage de valeurs « value », c’est-à-dire sous-valorisées et offrant donc un potentiel de hausse plus intéressant
  • La présence d’écarts sectoriels (par exemple, l’indice ISR est sous-pondéré dans le secteur énergétique – avec l’exclusion des sociétés liées aux énergies fossiles). Lorsque ce dernier sous-performe les autres secteurs, l’indice ISR a tendance à surperformer son indice classique.

Investissement et considérations environnementales et sociétales ne sont donc pas nécessairement antinomiques. Néanmoins, selon la formule consacrée, les performances passées ne préjugent pas des performances futures et l’avenir nous dira si cette tendance se confirme.

En outre, les épargnants qui possèdent des fonds durables sont souvent prêts à accepter une moindre performance au profit d’un investissement correspondant à leurs convictions environnementales et sociétales. La recherche de la performance immédiate ne constitue pas la motivation première de ce type d’investisseur qui privilégie les sociétés de qualité et la croissance à long terme.

Dans tous les cas, l’investissement durable devrait connaître un regain d’intérêt dans l’allocation patrimoniale des Français en raison du rajeunissement des investisseurs. Un renforcement des critères d’attribution des labels et une clarification de la classification SFDR apparaissent dès lors comme nécessaires pour éviter tout soupçon d’écoblanchiment et poursuivre le processus d’acculturation à la durabilité.

[1] Fondée en 2001, Novethic est une filiale du Groupe Caisse des Dépôts. À la croisée des stratégies de finance durable et des pratiques de responsabilité sociétale des entreprises, Novethic déploie ses expertises – média, recherche, audit et formation – pour permettre aux professionnels de relever les défis de la transformation durable. Source : https://www.novethic.fr/

[2]https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/publications/rapports-etudes-et-analyses/les-francais-et-les-placements-responsables-opinionway-pour-lamf-juillet-2023

Chapter Lead

Le Chapter Lead, un rôle agile à tester ?

Gabrielle Jullian-Legros
Consultante
Yvan Makembe
Consultant

Les cadres agiles sont un mode de gestion de produit qui repose sur un constat simple : il est contre-productif de définir et de planifier la totalité des fonctionnalités du produit, dans les moindres détails, avant de le développer. En effet, il est rare que tout se passe exactement comme prévu. Souvent, des aléas surviennent et obligent les parties prenantes à revoir la planification. De plus, les besoins évoluent parfois très vite et les fonctionnalités spécifiées plusieurs mois plus tôt peuvent devenir obsolètes. Enfin, les retours des utilisateurs vont permettre d’aiguiller le produit, et pas toujours dans la direction que l’on imaginait au départ.

L’agile se veut donc itératif, incrémental et adaptatif. Le développement du produit a lieu par “sprints” successifs amenant chacun de nouvelles évolutions. Ainsi, le produit peut être testé et amélioré en continu. Les premiers retours et les adaptations qui en découlent sont très rapides, contrairement au cycle en V.

Le grand parapluie agile abrite plusieurs modèles, tels que Scrum ou Kanban. Les rôles les plus connus sont le Product Owner, le Scrum Master et les membres de l’équipe. La famille agile s’est agrandie, notamment pour répondre à des problématiques de mise à l’échelle. C’est dans ce contexte que sont apparus d’autres cadres comme SAFe, Nexus, LeSS… L’entreprise Spotify a fait parler d’elle en expérimentant sa propre organisation d’agilité à l’échelle, au sein de laquelle elle a testé ses propres concepts et rôles, dont celui de Chapter Lead.

Spotify – Ceci n’est pas un modèle

Spotify est une entreprise de la tech suédoise qui domine le domaine du streaming musical dans le monde. En 2012, elle publie l’article « Scaling Agile @ Spotify », un arrêt sur image de son expérimentation agile à l’échelle. Aussitôt, le document est érigé au rang de modèle par ceux qui croient y déceler la recette magique du succès. Nombreux sont ceux qui l’ont implémenté sans le questionner, et nombreux sont ceux qui l’ont regretté puis âprement critiqué.

Pourtant l’avertissement en 1ère page était on ne peut plus clair :

Disclaimer: Spotify is (like any good agile company) evolving fast. This article is only a snapshot of our current way of working – a journey in progress, not a journey completed. By the time you read this, things have already changed.

Avertissement : Spotify (comme toute bonne entreprise agile) évolue rapidement. Cet article n’est qu’un instantané de notre manière actuelle de travailler – un cheminement en cours, pas un cheminement achevé. Lorsque vous lirez ceci, les choses auront déjà changé.

Qu’importe. Certains essaient toujours de l’implémenter tel quel. Et chez Spotify, on s’en désole :

The co-author of the Spotify model and multiple agile coaches who worked at Spotify have been telling people to not copy it for years. Unfortunately, truth doesn’t spread as quickly or as widely as an idea people want to believe in.

“Even at the time we wrote it, we weren’t doing it. It was part ambition, part approximation. People have really struggled to copy something that didn’t really exist.”

—Joakim Sundén, agile coach at Spotify 2011–2017

“It worries me when people look at what we do and think it’s a framework they can just copy and implement. […] We are really trying hard now to emphasize we have problems as well. It’s not all ‘shiny and everything works well and all our squads are super amazing’.”

—Anders Ivarsson, co-author of the Spotify whitepaper

https://www.jeremiahlee.com/posts/failed-squad-goals/

Le co-auteur du modèle Spotify et de multiples coachs agiles qui travaillaient chez Spotify ne cessent dire aux gens de ne pas le copier, depuis des années. Malheureusement, la vérité ne se répand pas aussi rapidement et aussi largement qu’une idée en laquelle les gens veulent croire.

“Même à l’époque où nous l’avons écrit, nous n’étions pas en train de le faire. C’était en partie de l’ambition et en partie de l’approximation. Les gens ont vraiment eu du mal à copier une chose qui n’existait pas réellement.”

—Joakim Sundén, coach agile chez Spotify 2011–2017

“Cela m’inquiète quand les gens regardent ce que nous faisons et pensent que c’est un cadre de travail qu’ils peuvent juste copier et implémenter. […] Maintenant, nous nous efforçons vraiment de souligner que nous avons des problèmes aussi. Tout n’est pas ‘tout beau et tout fonctionne bien et toutes nos squads sont incroyables’.”

—Anders Ivarsson, co-auteur du livre blanc the Spotify

https://www.jeremiahlee.com/posts/failed-squad-goals/

Alors, sans tomber dans l’écueil de croire en l’existence d’un modèle Spotify miraculeux et immuable, peut-on s’en inspirer ?

Bien sûr. En gardant à l’esprit le principe agile d’adaptation, toute expérimentation est possible. Si l’expérimentation n’est pas concluante, on en tirera les leçons pour trouver des manières de travailler plus adaptées à chaque contexte.

Voici les différents regroupements de collaborateurs introduits par Spotify.

  • Les “squads”

Les squads sont de petites équipes interfonctionnelles de 6 à 12 personnes qui sont responsables d’un produit ou d’une fonctionnalité spécifique. Chaque équipe est habilitée à prendre des décisions sur la façon dont elle travaille et sur ce qu’elle livre.

  • Les “chapters”

Les chapters sont des groupes de personnes travaillant au sein de la même discipline ou spécialité, comme des développeurs ou des recetteurs. Les chapters permettent de partager les connaissances et de collaborer avec d’autres personnes ayant des compétences similaires. Les membres d’un chapitre ont un supérieur hiérarchique appelé “Chapter Lead”, qui est responsable du développement de l’équipe et des événements qui se déroulent au sein du chapter.

  • Les “tribes”

Les tribes sont des ensembles de squads qui travaillent sur des produits ou des fonctionnalités connexes. Les tribes sont généralement composées de 100 à 150 personnes et sont dirigées par un “Tribe Lead” qui est chargé de coordonner le travail des squads au sein de la tribe.

  • Les guildes

Les guildes sont des communautés informelles qui traversent les tribes et les chapters. Les guildes permettent aux personnes de partager leurs connaissances et leurs meilleures pratiques de façon transverse, au sein de l’organisation.

De l’intérêt du Chapter Lead

Nous venons de le voir, le Chapter Lead est le coordinateur d’un chapter, soit une communauté d’experts de la même spécialité. Le principe de communautés d’experts n’est pas propre à Spotify. Mais ce qui est notable dans la description du Chapter Lead, c’est la notion de supérieur hiérarchique. Les modèles agiles donnent généralement peu d’indication sur l’organisation managériale. On sait que les rôles de Product Owner et de Scrum Master ne possèdent aucun pouvoir hiérarchique sur l’équipe. Et on sait par ailleurs qu’il existe des managers dans les entreprises. Le résultat peut donc aboutir à des aberrations du type :

Le Product Owner est en outre le supérieur hiérarchique des business analysts et le Scrum Master celui des développeurs. Parfois ils s’expriment dans le cadre de leur rôle, parfois dans le cadre de leur fonction. Mais ne vous inquiétez pas, tout le monde fait bien la part des choses…

On sombre dans une hybridation intenable. Par exemple, si je suis membre de l’équipe, et que mon Product Owner/manager me communique une vision du produit incohérente, dans quelle mesure puis-je m’y opposer ? Est-ce qu’il me parle en tant que Product Owner ou en tant que manager ? Est-ce que je risque ma carrière ?

Et si je suis Product Owner/manager, comment savoir si l’équipe challenge réellement les éléments que je lui apporte ? Est-ce que tout le monde est sciemment en train de me laisser faire route par peur de répercussions ?

Autrement dit, si on vient simplement plaquer des rôles sur une organisation hiérarchique pré-existante, on court le risque de passer totalement à côté des principes d’autonomie, d’auto-organisation et de prise de décision décentralisée.

Dans une transformation agile, les liens hiérarchiques doivent être repensés. L’intérêt du Chapter Lead est qu’il est un manager déporté. Il n’intervient pas dans la vie quotidienne de l’équipe. Elle peut donc prendre de façon autonome les décisions qu’elle juge les meilleures pour le client et le produit, sans pression ni interférence. Pour comprendre l’avantage d’un tel fonctionnement, il faut naturellement être convaincu que les meilleures décisions opérationnelles sont prises par ceux qui savent, et que ceux qui savent le mieux sont ceux qui font.

Déchargé du micro-management quotidien, le manager déporté peut se focaliser sur les tâches à valeur ajoutée : apporter son soutien, son assistance, accompagner le salarié dans son évolution professionnelle, le faire grandir. Autrement dit, on s’affranchit du manager de proximité qui dit “quoi faire” pour adopter celui qui aide sur le “comment faire”.

L’esprit du rôle de Chapter Lead est de soutenir le travail des experts de sa communauté, tant au niveau collectif qu’individuel. Au niveau individuel, il favorise l’acquisition des compétences. Au niveau collectif, il contribue à éliminer les obstacles en lien avec les autres chapter leads et les scrum masters. Il s’assure que tous les moyens sont mis à disposition pour favoriser l’efficacité et la productivité, au service de l’objectif commun de la tribu à laquelle il appartient lui aussi.

Pas besoin d’être Einstein

Cette proposition de donner la responsabilité hiérarchique au coordinateur d’une communauté d’experts est une des idées qu’il est possible d’expérimenter, en s’inspirant du livre blanc Spotify. Certains l’ont déjà fait avec succès. En tout cas, une chose est sûre : les hybridations du type Product Owner/manager ou Scrum Master/manager sont une approche catastrophique. Ce non-sens est même une des raisons principales de l’échec agile de nombreuses entreprises.

Albert Einstein n’a jamais dit : « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ». Cette phrase est en réalité l’œuvre de Rita Mae Brown, écrivaine américaine de romans policiers, ce qui ne change en rien sa profondeur et sa pertinence.

Alors armons-nous des valeurs agiles de courage et d’ouverture : osons, tentons, testons.

Néobanques

Les néo-banques au pays des merveilles

Gabrielle Jullian-Legros
Consultante

Voilà une dizaine d’années que les premières néo-banques sont apparues dans le paysage financier : les résultats sont-ils au rendez-vous et quelles sont les dernières tendances ?

Avant-propos : Néo-banque ou banque en ligne ?

Au commencement, les néo-banques étaient des établissements de paiement, uniquement. C’est-à-dire qu’elles ne possédaient pas de licence bancaire, et n’étaient donc techniquement pas des “banques”. Elles ne pouvaient pas accorder de crédits. Aujourd’hui, nombre d’entre elles disposent d’une licence bancaire et n’usurpent plus leur nom. Les banques en ligne sont adossées à des banques traditionnelles, comme Boursorama à la Société Générale ou Fortuneo au Crédit Mutuel, et ont initialement commercialisé leurs produits sur le web, même si elles disposent maintenant d’applications mobiles. Les néo-banques sont généralement des établissements indépendants qui privilégient les applications mobiles comme support de commercialisation. Cependant, c’est un paysage mouvant dont les lignes ne sont pas toujours nettes. Par exemple, Revolut, quintessence de la néo-banque, se définit actuellement dans ses campagnes publicitaires comme une banque en ligne. Et Lydia, application emblématique du transfert d’argent entre amis, a dévoilé son ambition d’entrer au club des néo-banques.

***

Dans le livre de Lewis Caroll, la jeune Alice suit un lapin blanc au creux d’un terrier et se retrouve piégée dans une salle cerclée de portes closes. Elle finira par en sortir, après bien des mésaventures, et avoir testé toutes les portes.

Dans le monde réel, toutes les néo-banques ne connaissent pas d’issue heureuse, et nombreuses furent celles à périr au fond du terrier. RIP : Pumpkin, Morning, C-zam, Ferratum, Ditto Bank, Boon, Vybe, Xaalys, Paykrom et bien d’autres… La plupart des survivantes cherche encore la clé magique du Pays des Merveilles.

Le lapin blanc prend la forme de deux Directives européennes sur les Services de Paiement, adoptées en 2007 et 2015. Elles visent à garantir un accès équitable et ouvert aux marchés des paiements et à renforcer la protection des consommateurs. Les Fintechs y voient très vite l’opportunité de révolutionner la banque. Leurs services 100 % sur mobile seront simples, innovants et axés sur l’expérience utilisateur. Elles y croient, les investisseurs aussi : on rêve de disrupter à la Uber.

Au départ, l’appât repose sur la délicate stratégie du freemium. Si les fonctionnalités gratuites sont trop généreuses, le client ne franchit guère le pas de la version payante. A contrario, si elles ne sont pas assez attrayantes, le client n’est pas au rendez-vous du tout.

Les premières années sont euphoriques. Les licornes, N26 (créée en 2013 à Berlin) et Revolut (fondée en 2015 à Londres), captent des millions d’utilisateurs dans le monde. Elles séduisent par leur ergonomie, la clarté des parcours, la rapidité de souscription, le virement immédiat (peu répandu à l’époque) et le paiement en devises sans frais à l’étranger. Des dizaines de jeunes pousses s’engouffrent sur leurs traces. La croissance est alors LE critère de réussite… mais l’essai est dur à transformer. Le contexte économique se dégrade et les investisseurs finissent par ne plus suivre aveuglément ces banques qui perdent de l’argent.

La recette miracle du “free to paid” étant si périlleuse à maîtriser, le modèle dominant devient alors celui de l’abonnement. Dans ces conditions, comment convaincre le consommateur de dénouer les cordons de sa bourse en dehors (et donc en plus) de sa banque traditionnelle, voire tout bonnement de la quitter ? Voici quelques approches ciblées qui tentent de tirer leur épingle du jeu.

Le compte pour les mineurs

Concept : La confiance n’exclut pas le contrôle.

Si le consommateur peut être réticent à l’idée d’engager des dépenses supplémentaires pour lui-même, il l’est souvent moins lorsqu’il s’agit de sa progéniture. D’autant plus si cela lui permet d’avoir un œil vigilant sur la façon dont l’argent de poche est utilisé.

Arguments de vente :

La personnalisation du moyen de paiement pour séduire les enfants :

  • Chez Money Walkie, pas de carte mais un badge “stylé”, en forme de panda, de glace ou de fusée…
  • Chez Pixpay, des visuels tendance en édition limitée : par exemple, la carte « Spiderman : Across the universe » ou « One Piece »

La surveillance et la pédagogie pour séduire les parents :

  • L’adulte peut contrôler les dépenses effectuées depuis l’application
  • Des tutoriels permettent d’amorcer l’éducation financière des jeunes

Tarifs de base :

  • Pixpay : 2,99€ / mois
  • Kard : 2,99€ / mois
  • Money Walkie : 1,90€ / mois

Le compte pour les professionnels

Concept : C’est un jeu d’enfant.

Une autre tactique consiste à attaquer un marché où le consommateur est le plus souvent amené à disposer d’un compte pro (en fonction de son statut). Les indépendants sont le cœur de cette cible, mais les TPE, PME et associations sont également visées.

Arguments de vente :

  • Aide à la création de l’entreprise
  • Facilitation de la facturation et de la comptabilité

Tarifs de base :

  • Qonto à partir de 9€ HT / mois
  • Shine : à partir de 7,90 HT / mois
  • Blank : 6€ HT / mois

Le compte pour les agents du changement

Concept : Votre argent peut sauver le monde.

Une tendance émergente au sein des néo-banques est celle du compte dit “à impact”. Cela consiste à aligner son choix d’établissement bancaire sur ses valeurs, pour donner du sens à ses dépenses.

  • Helios, OnlyOne, GreenGot : pour les éco-responsables
  • Penny Pet : pour les amis des animaux
  • Welcome Place : pour l’insertion des migrants

Arguments de vente :

  • Mesurer son impact : par exemple, calculer l’empreinte carbone de son argent ou comptabiliser le nombre de kilos de déchets ramassés grâce à celui-ci
  • Sélectionner les projets qui seront financés par les frais d’interchange
  • Participer à des fonds de solidarité
  • Financer une association à chaque ouverture de compte
  • Bénéficier de cashback vers des enseignes partenaires engagées

Tarifs de base :

  • Helios, OnlyOne, GreenGot : 6€ / mois
  • PennyPet : 9€ / mois
  • Welcome Place : entreprise en création

Aujourd’hui, le bilan des néo-banques est particulièrement maussade. Seules deux d’entre elles ont atteint le seuil de rentabilité : la britannique Revolut (freemium) et la néerlandaise Bunq (abonnement).

Les autres sont encore coincées au fond du terrier. D’où l’importance de bien choisir ses idoles : Uber fonctionne, depuis sa création, sur le modèle d’une croissance effrénée, renflouée par des levées de fonds incessantes… mais jamais rentable. D’autant que la route est semée d’embûches. En effet, qui dit “banques” dit “réglementation bancaire”, et plus elles prennent la lumière, plus l’œil du régulateur est à l’affût. N26 a subi une amende de 4,25 millions d’euros en 2021 pour ses insuffisances en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Ces établissements, qui ont une dizaine d’années tout au plus, se doivent d’apprendre et de maîtriser très vite les métiers de la Compliance, sous peine d’être prestement broyés par le poids règlementaire. Il sera intéressant d’observer, dans les années à venir, si les initiatives de ce secteur finiront – enfin – par porter des fruits merveilleux.

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Comment les institutions financières luttent contre le commerce illégal d’espèces sauvages

Anna Maximova
Consultante

Spontanément, le blanchiment de capitaux évoque des crimes comme la contrefaçon, le trafic de drogue, d’êtres humains ou d’armes. Pourtant, la criminalité environnementale se classe au quatrième rang des crimes plus importants au monde. Le commerce illégal d’espèces sauvages est estimé à 20 milliards de dollars par an d’après le rapport UNEP-INTERPOL The Rise of Environmental Crime (2016).

Les autres formes de criminalité environnementale comprennent l’exploitation forestière illégale, la pêche non déclarée et non réglementée, l’extraction et le commerce de minéraux, l’exploitation minière et le déversement de déchets toxiques. Les institutions financières jouent un rôle crucial dans la lutte contre cette catastrophe écologique, notamment par le biais de leurs activités de KYC (“Know Your Customer”).

Qu’est-ce que le commerce illégal d’espèces sauvages ?

Il n’existe pas de définition unique, mais on parle généralement de commerce d’espèces sauvages contraire à la loi. Cela inclut le trafic de spécimens vivants ou morts et même de produits dérivés issus d’espèces protégées. Ces derniers sont souvent utilisés à des fins médicinales traditionnelles, pharmaceutiques ou ornementales : ivoire des défenses d’éléphant, cornes de rhinocéros, écailles de pangolins… Le trafic illégal d’espèces sauvages constitue une menace majeure pour la biodiversité mondiale. En outre, il compromet la survie de milliers d’espèces au sein de la flore, de la faune et des champignons terrestres et marins. Il a également un impact négatif sur les populations d’espèces sauvages, ce qui perturbe le bon fonctionnement des écosystèmes et entraîne des dommages dans les cycles naturels.

Le trafic d’espèces sauvages fait partie intégrante du crime organisé. Ces opérations de plus en plus globalisées relèvent désormais de la définition du crime organisé transnational. La Convention des Nations Unies définit un groupe criminel organisé comme : “structuré de trois personnes ou plus, existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre un ou plusieurs crimes ou délits graves établis conformément à la présente Convention afin d’obtenir, directement ou indirectement, un avantage financier ou autre avantage matériel”. Le trafic d’espèces sauvages représente une menace pour la biodiversité, elle alimente la corruption et peut avoir un impact négatif sur la santé publique et l’économie.

Selon le rapport du GAFI sur le blanchiment d’argent et le commerce illégal d’espèces sauvages, plus de 37 000 espèces de plantes et d’animaux inscrites sur la liste de la CITES[1], 97 % des espèces peuvent être utilisées à des fins commerciales (produits cosmétiques, pharmacie, animaux de compagnie, etc.) de manière légale. Le commerce légal garantit que les espèces font l’objet de contrôles et d’inspections spécifiques, tels que les contrôles vétérinaires, qui garantissent que les espèces commercialisées respectent les réglementations et la sécurité sanitaire afin d’éviter la propagation de maladies zoonotiques potentielles.

Avec le commerce illégal, ces contrôles sont inexistants. En outre, le commerce illégal tend à exploiter les espèces et les ressources de manière non durable, ce qui peut menacer leur extinction (par exemple, l’éléphant d’Afrique) ou conduire à la destruction de ressources naturelles vitales telles que la qualité de l’air, l’approvisionnement en eau, la sécurité alimentaire, etc. Par exemple, dans le cadre de l’extraction illégale d’or en Colombie, les mineurs artisanaux déversent plus de 30 tonnes de mercure chaque année dans les rivières et les lacs de la région amazonienne, ce qui entraîne des dommages neurologiques chez les poissons et les humains vivant jusqu’à 400 km aux alentours d’après le rapport UNEP-INTERPOL The Rise of Environmental Crime (2016).

Le KYC, rempart contre le commerce illégal d’espèces sauvages

Pour blanchir les produits de leurs activités, les criminels abusent souvent du secteur financier. Comment le KYC peut-il aider à lutter contre le trafic illégal d’espèces sauvages ?

D’après le groupe Lexis Nexis, le KYC se définit comme “la procédure mise en œuvre par les entreprises et les banques pour vérifier l’identité de leurs clients ou d’une personne morale conformément aux réglementations de customer due diligence en vigueur”.

En effet, il est primordial de faire coopérer les organisations publiques et privées pour collecter les informations financières qui pourraient aider à détecter le blanchiment de capitaux. Voici les méthodes courantes utilisées par les criminels :

  • L’utilisation de sociétés-écrans et fictives : souvent situées dans des juridictions offshore, elles n’ont pas de présence physique autre qu’une boîte postale et possèdent peu ou pas de valeur économique
  • L’achat d’actifs et de biens de grande valeur, par exemple des biens immobiliers, des véhicules de luxe, etc.
  • Les paiements effectués via les réseaux sociaux et les plateformes mobiles.

L’analyse attentive du dossier de paiement, les informations concernant l’activité commerciale de l’entreprise et ses bénéficiaires effectifs, l’examen des informations d’importation / exportation telles que la facture et les encaissements, les informations fiscales et les déclarations douanières permettent d’évaluer l’implication d’un individu ou d’une entité dans le blanchiment d’argent. Les clients suspects peuvent être des entreprises (par exemple, une animalerie exotique, une société de safari, un laboratoire utilisant des plantes rares…) ou des personnes physiques comme un éleveur travaillant dans un zoo privé, un collectionneur…

Par ailleurs, les indicateurs de risque sur les transactions et les comportements doivent être analysés pour repérer les signaux d’alarme. Seul un faisceau d’indices permet de tirer une conclusion définitive. Parmi les transactions et comportements suspects, il existe :

  • Les dépôts et retraits multiples en espèces
  • Les transactions utilisant des noms d’ingrédients ou de produits faisant référence aux espèces listées par le CITES
  • Les transactions comportant des divergences dans la description ou la valeur entre les documents d’expédition et les marchandises expédiées
  • Les transactions entre des animaleries / éleveurs agréés et des trafiquants connus d’espèces sauvages
  • Les transactions liées au commerce de l’or à partir de comptes commerciaux, une pratique de dissimulation usuelle pour les paiements liés au transport d’espèces sauvages
  • Les références de transaction utilisant des noms de spécimens ou des tournures opaques
  • Des prêts incohérents entre sociétés de négoce ou d’import / export dans des pays favorisant la navigation intérieure ou les zones de transit.
  • Le transport d’animaux sauvages légaux avec des certificats CITES suspects

L’importance de la collaboration entre secteur public et secteur privé

Plusieurs organisations internationales luttent contre le commerce illégal d’espèces sauvages :

  • Le consortium interne de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages (ICCWC)
  • La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES)
  • L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC)
  • L’équipe INTERPOL de lutte contre la fraude liée aux espèces sauvages
  • Le Fonds mondial pour la nature
  • Unis pour la faune

Cependant, empêcher le commerce illégal d’espèces sauvages ne consiste pas seulement à mettre en place de nouvelles lois et réglementations. En effet, il existe de nombreuses informations que les entités du secteur privé peuvent utiliser pour détecter les flux financiers illicites. Les institutions financières sont souvent utilisées pour déplacer et dissimuler les capitaux frauduleux. En plus des banques et des établissements de paiement, certaines institutions non financières comme les marchands de biens, les maisons de vente aux enchères, les antiquaires, etc. peuvent servir aux trafiquants d’espèces sauvages à leur insu.

Cité dans Le Monde du 07/04/2023, Frans Timmermans, le vice-président de la Commission européenne, alerte : « Le trafic d’espèces sauvages relève de la grande criminalité organisée et constitue une menace directe et croissante pour la biodiversité, la sécurité mondiale et l’Etat de droit ». C’est pourquoi la Commission européenne a adopté un plan d’action révisé s’étalant jusqu’en 2027. Dans cette perspective, la collaboration entre le secteur public et le secteur privé joue un rôle crucial. Elle doit réunir des experts financiers et environnementaux pour permettre le partage des connaissances et des bonnes pratiques. Le renforcement de la collecte d’informations financières et l’amélioration de la qualité de l’analyse des données contribuent à l’identification des flux financiers frauduleux, conférant aux institutions financières un rôle essentiel dans la mise en conformité avec cette nouvelle réglementation.

[1] La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, dite Convention de Washington et connue sous son acronyme anglais CITES, est en vigueur depuis le 1er juillet 1975. Elle réglemente aujourd’hui le passage en frontières de plus de 38 000 espèces animales et végétales (source : www.ecologie.gouv.fr)

CRR3_header

La nouvelle approche standard du risque de crédit dans le cadre de CRR3 (Capital Requirement Regulation)

Stéphane Césaire-Gédéon
Consultant

Contexte

Le 27 octobre 2021, la Commission Européenne a publié le règlement CRR3 qui, avec la directive CRD6, constitue le dernier volet des réformes réglementaires Bâle III engagées à la suite de la crise financière mondiale de 2007-2009.

Dans ce règlement, les modifications sur les dispositions de l’approche standard du risque de crédit pour le calcul des emplois pondérés entrent en vigueur le 1er janvier 2023 (1) et impliquent les changements les plus significatifs pour les raisons suivantes :

  • Pour la plupart des banques, le risque de crédit représente la plus grande part du risque ;
  • L’approche standard du risque de crédit est la plus utilisée dans le monde (par comparaison avec l’autre approche autorisée qui est fondée sur les notations internes).

Le défaut principal identifié sur cette approche standard du risque de crédit est le manque de sensibilité au risque qui résulte d’une mauvaise estimation des risques et donc des montants d’emplois pondérés inappropriés. De ce fait, l’objectif principal du texte est de restaurer la crédibilité du ratio de solvabilité en apportant cette plus grande sensibilité au risque.

Ceci se traduit concrètement par :

  • une granularité plus fine des catégories d’exposition,
  • la recalibration des pondérations et facteurs de conversion,
  • l’introduction de nouvelles pratiques pour calculer la pondération (ex : ratio exposure-to-value, l’approche SCRA décrite dans la suite de cet article),
  • la modification des conditions d’application de certaines pondérations,
  • la volonté de réduire le recours mécanique aux notations de crédit externes en imposant une due diligence autour de l’utilisation des notations et la conception de certaines approches de pondération non fondées sur les notes.

Les sections suivantes décrivent donc ces changements pour atteindre les objectifs du régulateur par catégorie d’exposition.

 Expositions du hors bilan

En plus d’une reclassification des éléments de hors bilan avec un regroupement en classes de risque graduées de 1 à 5, les conditions d’application sont également précisées par une définition du terme « engagement » et une dérogation pour les types d’accords contractuels qui ne doivent pas être considérés comme des engagements.

En outre, les niveaux de pondération sont à la hausse puisque le facteur de conversion de 0 % est supprimé et deux nouveaux facteurs de conversion sont introduits : un facteur intermédiaire de 40 % et un facteur de 10 % (qui devient la pondération minimum). Cependant, les établissements pourront continuer à appliquer un facteur de conversion de 0 % sur les accords contractuels qui ne sont pas considérés comme des engagements.

Expositions sur les établissements financiers

En complément de l’approche existante par laquelle une pondération est déterminée en fonction des notations de crédit fournies par les agences de notation (approche dite “ECRA”), CRR3 introduit une nouvelle approche appelée SCRA (l’approche standard de l’évaluation du risque de crédit) lorsqu’aucune notation n’est disponible.

Établissements notés (approche ECRA)

Cette approche se caractérise par un abaissement de la pondération de 50 % à 30 % pour les expositions sur des établissements pour lesquels une agence de notation a attribué une note correspondant à un échelon de qualité de crédit de niveau 2 sans changement sur les expositions à court terme.

Néanmoins, dans l’optique de contrôler l’adéquation du niveau de risque retenu, les établissements sont soumis à des exigences de diligence sur les notes émises par les agences de notation afin d’éviter une application mécanique des pondérations. Cela dit, la règlementation ne précise pas encore en détail la façon dont ces diligences doivent être effectuées.

Établissements non notés (approche SCRA)

Avec SCRA, les établissements sont classés dans trois nouvelles classes de A à C comme ci-dessous.

*Les expositions classées dans l’échelon A qui ne sont pas à court terme reçoivent une pondération de risque de 30 % lorsque le ratio de fonds propres de base de catégorie 1 de l’établissement est égal ou supérieur à 14 % et le ratio de levier est supérieur à 5 %.

Par rapport au texte précédent, la pondération minimum par défaut a été doublée (de 20 % à 40 %) pour les expositions qui ne sont pas à court terme.

D’autre part, la pondération dépendait exclusivement d’un échelon de crédit attribué aux expositions de l’administration centrale alors que le traitement CRR3 s’affranchit de l’exploitation d’une notation de crédit et prend plutôt en compte le respect des exigences de fonds propres et le niveau de dépendance aux conditions économiques favorables pour honorer les engagements financiers (voir tableau ci-dessus).

Ceci va clairement dans la direction souhaitée d’augmenter la sensibilité au risque avec, au passage, une diminution de la dépendance aux systèmes de notation.

Expositions sur les entreprises hors financement spécialisé

L’abaissement de la pondération de 100 % à 75 % est applicable aux expositions sur des entreprises pour lesquelles une agence de notation a délivré une note correspondante à un échelon de qualité de crédit de niveau 3. Ensuite, les expositions pour lesquelles il n’existe pas d’évaluation de crédit reçoivent une pondération de risque de 100 % sauf pendant une période transitoire. En effet, durant cette dernière, une pondération de risque de 65 % est appliquée lorsque l’exposition présente une probabilité de défaut jusqu’à 0,5 %.

Cette dernière disposition est liée à l’application du nouveau plancher de fonds propres (2) qui implique que les établissements qui appliquent l’approche de notation interne calculent également les emplois pondérés avec l’approche standard de risque de crédit qui utilise des notations externes. Étant donné que peu d’entreprises de l’Union Européenne sollicitent des notations externes et que les pondérations avec l’approche standard sont plus prudentes pour les entreprises non notées, cette situation va augmenter les exigences de fonds propres pour les établissements et donc le risque que les banques restreignent les prêts aux entreprises non notées.

Afin de remédier à cette situation, la disposition transitoire qui va durer jusqu’au 31 décembre 2032, offre du temps pour la mise en place d’initiatives visant à étendre la couverture de notation de crédit externe. Les autorités de surveillance sont chargées d’orienter ces initiatives avec la préparation d’un rapport sur les mesures à prendre pour remédier aux obstacles à la disponibilité d’évaluation de crédit.

Expositions de financement spécialisé

Le nouveau règlement introduit une nouvelle sous-catégorie « financement spécialisé » au sein de la catégorie existante « expositions sur les entreprises ». Elle est subdivisée entre les trois types suivants : le financement d’objets, le financement de matières premières et le financement de projets.

En plus de cette nouvelle classification, une granularité complémentaire offre un traitement favorable en matière de fonds propres pour les expositions non notées sur les financements d’objets qui remplissent des critères établissant un profil de risque à un niveau de « qualité élevée » (les critères sont spécifiés dans l’article 122 bis de CRR3).

Deux approches de pondération vont cohabiter : une première concerne les expositions pour lesquelles une notation externe existe, et une deuxième pour celles qui sont non notées.

Expositions notées de type financement spécialisé

Le niveau de pondération est défini de 20 % à 150 % en fonction de l’échelon de qualité de crédit.

Expositions non notées de type financement spécialisé

Sur cette nature d’exposition, l’effort du régulateur pour mettre en place une pondération détaillée est particulièrement perceptible. Cette pondération dépend de l’objet du financement et des spécificités associées pour qu’elles soient adaptées (voir tableau ci-dessous).

* à condition que l’ajustement des exigences de fonds propres pour risque de crédit prévu à l’article 501 bis ne soit pas appliqué.

Expositions sur la clientèle de détail

Le nouveau règlement ajoute une pondération de 45 % à la pondération par défaut de 75 % pour certaines expositions renouvelables (3) qui ont un profil de risque réduit dit « expositions sur transactionnaire »

Un multiplicateur fixé à 1,5 de la pondération est également mis en place pour les expositions non couvertes lorsqu’il y a une différence entre la monnaie du prêt et celle de la source de revenu du débiteur. Toutefois, il existe un plafond de 150 % sur la pondération qui résulte de ce calcul.

Par ailleurs, une dérogation permet d’appliquer une pondération de 35 % sur les expositions liées à des prêts aux retraités / employés en échange d’une partie de la pension / salaire de l’emprunteur à l’établissement.

En revanche, les expositions sur des personnes physiques qui ne remplissent pas toutes les conditions pour être considérées comme des expositions sur la clientèle de détail doivent être pondérées à 100 %.

Expositions garanties par une hypothèque sur un bien immobilier

Le nouveau traitement de pondération garde la distinction entre les hypothèques résidentielles et commerciales mais ajoute de nouvelles distinctions :

  • Expositions IPRE : financement qui repose sur les revenus générés par le bien en garantie
  • Expositions ADC : expositions sur l’acquisition de terrains, la promotion et la construction de biens

Il prévoit également un traitement alternatif plus sensible au risque en fonction d’un ratio Exposure-to-value : montant brut de l’exposition / valeur du bien.

Les règles avec ces nouveaux éléments et cette nouvelle granularité sont résumées dans le tableau ci-dessous.

À noter : des autorités compétentes peuvent augmenter les niveaux de pondération du tableau ci-dessus. Pour faciliter cet exercice, l’autorité bancaire européenne doit soumettre des projets de normes techniques de règlementation à la Commission Européenne d’ici le 31 décembre 2024.

Par dérogation, une exposition IPRE qu’elle soit garantie par un bien immobilier résidentiel ou commercial peut bénéficier du traitement fractionné si le taux de perte agrégé de tous les établissements de crédit est en-dessous des limites fixées au cours de l’année précédente :

  • Pour la partie des expositions inférieure ou égale à 55 % de la valeur du bien, le taux de perte doit être inférieur ou égal à 0,3 % de l’encours total des obligations de crédit,
  • Pour la partie des expositions inférieure ou égale à 100 % de la valeur du bien, le taux de perte doit être inférieur ou égal à 0,5 % de l’encours total des obligations de crédit.

Comme dans la catégorie « Clientèle de détail », un multiplicateur fixé à 1,5 est appliqué à la pondération pour les expositions non couvertes lorsqu’il y a une différence entre la monnaie du prêt et celle de la source de revenu du débiteur sans dépasser le plafond de 150 % sur la pondération.

Une fois de plus, les dispositions pour cette catégorie d’exposition reflètent cette volonté d’affiner les pondérations appliquées par une identification plus précise des cas d‘application.

Expositions sur les créances subordonnées

Application d’une pondération de risque de 150 % par défaut sur les créances subordonnées.

Expositions sur les actions

Les expositions sur actions cotées porteront une pondération de risque de 250 % par défaut au lieu de 100 % précédemment, et les expositions sur actions non cotées seront pondérées à 400 % par défaut. Ces pondérations seront introduites progressivement comme ci-dessous :

Parmi les exceptions, on peut noter qu’une pondération de 100 % peut être appliquée pour des expositions sur actions dans le cadre de programmes législatifs destinés à promouvoir certains secteurs de l’économie ou les expositions portant sur des banques centrales.

 Conclusion

A priori, la réforme va entraîner un alourdissement des exigences en fonds propres pour de nombreuses de banques de l’Union Européenne.

Les changements sont significatifs à la fois pour les niveaux de pondération, les conditions de classement dans une catégorie d’exposition et dans certains cas, la méthode d’estimation des pondérations.

Par conséquent, au regard de ces nombreuses évolutions, les banques doivent fournir un travail conséquent pour répondre aux exigences du régulateur dont l’objectif semble atteint pour certaines natures d’exposition, en particulier pour les expositions sur les financements spécialisés et celles qui sont garanties par un bien immobilier.

(1) Report de la date initialement au 1er janvier 2022, en réponse à la crise COVID-19.

(2) Le plancher de fonds propre révisé prévoit que les emplois pondérés calculés avec les modèles internes ne peuvent pas être inférieurs à 72,5 % des emplois pondérés calculés à l’aide des approches standards.

(3) L’exposition est dite renouvelable lorsque son solde dû par l’emprunteur peut évoluer en fonction de ses décisions d’emprunt ou de remboursement dans les limites fixées.

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Loi Eckert : huit ans après, quel bilan ?

Adrien Henry
Ingénieur conseil

Eckert : Les origines

La loi n° 2014-617 du 13 juin 2014 relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance-vie en déshérence, dite « loi Eckert », est entrée en vigueur le 1er juin 2016. Elle a été baptisée d’après son rapporteur Christian Eckert, Secrétaire d’Etat chargé du Budget sous le gouvernement Hollande. Elle reposait alors sur deux objectifs principaux : liquider le stock de comptes bancaires et de contrats d’assurance-vie non réclamés afin de récupérer les sommes correspondantes et traiter le flux de nouveaux contrats inactifs arrivant à échéance au fil de l’eau.

Concrètement, la loi se concentrait sur deux axes :

  • La détection de l’inactivité d’un compte ou d’un contrat par l’absence de fonctionnement du compte et l’absence de manifestation de son titulaire ou de son représentant ;
  • Le renforcement des obligations de connaissance client pour les établissements détenteurs de comptes ou contrats inactifs : information au titulaire par courrier, clôture en cas de décès avéré, conservation et publication des données à l’État, transfert des sommes non réclamées à la Caisse des Dépôts et Consignations.

Cette loi visait avant tout à faire porter aux établissements financiers la responsabilité de la recherche et de l’information des ayants droit, protégeant ainsi les titulaires et bénéficiaires des comptes inactifs et des contrats en déshérence.

Si, pour les comptes bancaires, la notion de compte inactif est définie dans la loi Eckert comme un compte sur lequel aucune opération autre que celles à l’initiative de la banque n’est intervenue pendant 12 mois consécutifs (60 mois pour les livrets d’épargne et autres comptes à terme et comptes-titres) et dont le titulaire ne s’est pas manifesté auprès de celle-ci, le cadre juridique concernant les contrats d’assurance-vie en déshérence est plus flou. Toutefois, les acteurs du marché s’accordent sur une définition commune regroupant sous ce terme les contrats dont le bénéfice au dénouement n’a pas été versé aux bénéficiaires, même partiellement, que ce soit en cas de vie ou en cas de décès.

Un renforcement des systèmes d’information

Avant même la loi Eckert, la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005 dite « AGIRA 1 » avait donné mandat à l’Association pour la Gestion des Informations sur le Risque en Assurance (AGIRA) de centraliser les demandes émanant de toute personne d’être informée de l’existence de contrats d’assurance-vie souscrits par une personne décédée dont elle serait bénéficiaire et de les transmettre à l’ensemble des assureurs, institutions de prévoyance et mutuelles.

Cette loi a été renforcée par la loi n° 2007-1775 du 17 décembre 2007 dite « AGIRA 2 » qui donne accès aux professionnels du secteur à la base de données relative au décès des personnes inscrites au Répertoire National d’Identification des Personnes Physiques (RNIPP). Si elle visait à permettre aux personnes autorisées d’accéder à des informations jusque-là confidentielles, elle ne fournissait pas de marche à suivre concernant les fonds déjà transférés à la Caisse des Dépôts et Consignations.

Par la loi Eckert, l’État a remédié à ce problème en créant CICLADE, un service en ligne à destination des particuliers permettant de rechercher les sommes en déshérence reversées à la Caisse des Dépôts et Consignations pendant les 20 ans précédant l’acquisition définitive de ces sommes par l’État, et étendu à l’ensemble des établissements financiers détenteurs de comptes et contrats les obligations réglementaires auparavant limitées aux seuls assureurs.

L’efficacité du dispositif prouvée par les chiffres…

Entre juillet 2016 et décembre 2020, ce sont 9,9 millions de comptes bancaires, contrats d’assurance-vie et plans d’épargne salariale pour un total de 6,5 milliards d’euros qui ont été transférés à la Caisse des Dépôts et Consignations. La plus grande partie (66 % des produits et 57 % du montant) provenait du stock de 2016 (1).

Il est à noter que les comptes bancaires inactifs représentent une très large partie des produits transférés, notamment en nombre (5,5 millions de comptes en 2016, soit 85 %) et dans une moindre mesure en montant (1,9 milliard d’euros en 2016, soit 51 %). Cela s’explique car, avant même les lois AGIRA 1 et 2, les assureurs étaient tenus de rechercher les bénéficiaires en cas de décès. Le cadre législatif du dispositif a durci ces obligations pour inciter les établissements à rechercher les ayants droit plus activement qu’ils ne le faisaient auparavant, notamment grâce à la surveillance de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) et à ses sanctions potentielles.

… mais un champ d’application à étendre et à renforcer

Si la mise en place de la loi Eckert et des outils associés a permis de réduire drastiquement le nombre de comptes et contrats en déshérence, il laissait de côté le périmètre des contrats d’épargne retraite. L’ACPR notait ainsi en 2018 que ces contrats représenteraient près de 13 milliards d’euros en avoirs non liquidés à l’âge légal de départ à la retraite (actuellement 62 ans), un chiffre confirmé par la Cour des Comptes en 2019.

C’est ainsi que la loi n° 2021-219 du 26 février 2021 relative à la déshérence des contrats de retraite supplémentaire, c’est-à-dire l’ensemble des produits antérieurs au Plan d’Épargne Retraite (Article 83, Madelin, PERP, …) ainsi que le PER lui-même, entrée en vigueur le 1er juillet 2022, complète le dispositif Eckert par l’obligation faite aux gestionnaires de produits d’épargne retraite de communiquer chaque année au Groupement d’Intérêt Public (GIP) Union Retraite les données utiles à l’identification des bénéficiaires et le renforcement du devoir d’information de l’employeur auprès de ses employés.

Des obligations croissantes renforcées par des sanctions proportionnelles ?

En tant qu’organe régulateur de l’État des secteurs de l’Assurance et de la Banque, l’ACPR semble avoir fait preuve d’une certaine clémence dans les premières années ayant suivi l’entrée en application de la loi Eckert. Pour autant, depuis 2019, elle a prononcé des sanctions de plus en plus nombreuses, en particulier à l’encontre des assureurs, ces derniers étaient théoriquement mieux préparés, en raison des lois AGIRA, à remplir leurs obligations de recherche et d’information, accompagnées d’amendes de montants non négligeables. Sur le seul deuxième trimestre 2022, trois décisions ont ainsi été rendues à l’encontre d’acteurs importants du marché de l’assurance pour un montant cumulé de sanctions pécuniaires s’élevant à 12 millions d’euros.

En termes de chiffres et de systèmes d’information, la loi Eckert a donc fait la preuve de son efficacité. Entre un champ d’application qui s’élargit d’année en année et des sanctions qui tendent à se durcir, les contraintes réglementaires autant que les évolutions technologiques sont plus que jamais au cœur des préoccupations des institutions financières. Cependant, la compréhension de ces enjeux par le grand public, la connaissance approfondie des différents dispositifs d’épargne et d’investissement ainsi que la responsabilité de chacun vis-à-vis de la gestion de ses comptes révèlent une certaine insuffisance – typiquement française ? – due à une éducation financière hétérogène au sein de la population.

(1) Source : Caisse des Dépôts et Consignations

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Métavers : quelle place pour les institutions financières ?

Emanuela Azouzi-Popa
Consultante
Florence Baldo
Ingénieure Conseil

Le 28 octobre 2021, Mark Zuckerberg a annoncé que Facebook changeait de nom pour devenir « Meta », en référence au métavers. Ce néologisme, décalqué de l’anglais metaverse, provient selon David Ambrosino, Président du Conseil Supérieur du Notariat, de la contraction du préfixe grec meta, qui signifie « au-delà de », et de l’anglais universe. C’est donc un monde au-delà du réel, un monde virtuel dans lequel la réalité physique et la réalité virtuelle augmentée ont été fusionnées. Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron a également insisté sur l’urgence de la création d’un métavers européen. Quelle réalité se cache derrière ces nouvelles initiatives ? Peut-on déjà en estimer les impacts ? Comment le métavers peut-il influencer nos modes de vie ?

S’il est trop tôt pour le dire, nous vous proposons un premier décryptage de ce phénomène révolutionnaire. Origines, applications, intérêts financiers… Demain, vivrons-nous tous des vies parallèles dans le métavers ?

Un concept plus ancien qu’on pourrait le penser

Le métavers peut se définir comme un monde virtuel en trois dimensions dans lequel il est possible de se réunir pour interagir, étudier, jouer, faire des achats et même travailler. Considéré par certains experts comme la prochaine évolution majeure d’Internet, il s’inscrit pourtant dans un mouvement issu des années 1990. En effet, l’écrivain Neal Stephenson a décrit pour la première fois dans son roman Snow Crash (publié en 1992 et traduit en français sous le nom Le Samouraï virtuel) un monde futuriste interfacé avec le monde réel.

Par la suite, de nombreuses entreprises se sont inspirées de cette idée pour créer des communautés en ligne. Second Life, lancé en 2003, permet à ses utilisateurs d’incarner des personnages dans un monde en 3D créé par les résidents eux-mêmes, un peu comme le jeu Sims. Présentés sous forme d’avatars réalistes, les résidents assistent notamment à des concerts en live et discutent comme dans un tchat.

En 2017, le célèbre jeu vidéo Fortnite révolutionne le marché de la réalité virtuelle.

L’année 2021 marque un tournant décisif dans le développement du métavers : avec 10 milliards de dollars d’investissement annoncés par Mark Zuckerberg, le recrutement de 10 000 profils hautement qualifiés et le lancement d’un nouveau logo ressemblant au signe mathématique de l’infini, il s’agit d’une disruption inédite dans le secteur mondial de la technologie.

Comment se présente le métavers ?

Le métavers est un environnement virtuel et immersif en trois dimensions. Pour y accéder, il suffit d’un ordinateur personnel, d’une connexion internet stable et d’un casque de réalité virtuelle.

On peut y pratiquer les mêmes activités que dans la vie réelle ou presque : assister à un événement sportif, participer à des réunions de travail avec des collègues à l’autre bout du monde, acheter des articles dans des rayons en 3D et même investir dans l’immobilier. Adidas a prévu d’y commercialiser ses célèbres baskets, et de nombreuses stars comme le rapper Drake ont acquis des terrains et fait monter les prix des parcelles situées à proximité.

Avec le rachat d’Oculus VR pour maîtriser ses propres périphériques de réalité virtuelle et la création de workrooms (en français : salles de travail), une alternative à la visioconférence, Meta entend faire oublier le modèle économique du réseau social qui repose sur la publicité ciblée. Le groupe cherche également à présenter son nouvel univers comme une plate-forme d’apprentissage d’une ampleur inédite, un peu comme un e-learning géant.

Quels sont les enjeux financiers du métavers ?

L’engouement pour les cryptomonnaies correspond à la défiance croissante des citoyens face aux institutions telles que les banques centrales et les banques de détail traditionnelles.

Le sud-américain Decentraland et le français The Sandbox sont deux univers immersifs liés à la blockchain et déjà connus dans le secteur des cryptomonnaies. Celles-ci ont d’ailleurs vu leur valeur doubler, voire tripler en novembre 2021 (1), relançant ainsi l’intérêt des investisseurs pour les mondes virtuels.

D’autres plateformes d’échange de cryptomonnaies comme Crypto.com veulent lancer leur propre métavers afin de capter le maximum d’investisseurs. Pour cela, elles proposent des services de plus en plus complets. Elrond, soutenue par son partenariat avec Bloktopia, prépare un projet de bridge permettant de faire transiter les jetons NFT et les cryptomonnaies entre ces deux écosystèmes. L’échangeur KuCoin se positionne également dans la course et annonce la mise en place d’un fonds d’investissement de 100 millions de dollars pour développer son métavers.

Parmi les projets plus confidentiels, OVR est sans doute le plus stratégique à l’heure actuelle. Avec son mélange de réalité augmentée et d’univers virtuel, il démultiplie les possibilités pour les futurs investisseurs : en effet, on peut être virtuellement possesseur d’une parcelle de la carte du monde, et même la louer pour des événements. La société pratique des investissements titanesques pour effectuer les mises à jour et rendre ainsi son univers plus attrayant.

Enfin, Microsoft promet de transformer nos réunions de travail sur Teams en réunions hybrides entre participants physiquement présents et hologrammes représentant des participants à distance à l’aide d’un casque virtuel et d’une tenue haptique. Nous n’avons jamais été aussi proches d’un rêve vieux comme l’humanité, celui de la téléportation…

Des problématiques inédites

Pour autant, le métavers suscite de nouvelles préoccupations. Qui va jouer le rôle de modérateur dans ce nouvel univers où tout semble permis ? En effet, le métavers se présente comme un espace de liberté totale : approche horizontale et dérégulée, absence de l’intervention de l’État… Les comportements interdits dans le monde réel (harcèlement, criminalité, extrémisme…) risquent de se reproduire dans la réalité virtuelle alors même que des manquements au contrôle des publications sur des réseaux sociaux comme Facebook, Instagram et Twitter sont régulièrement relayés par la presse. Selon son Chief Technical Officer, Meta pourrait ainsi consacrer jusqu’à 50 millions de dollars aux travaux sur les enjeux éthiques de l’entreprise (2). L’une des pistes radicales consiste à exiger la levée de l’anonymat grâce à des preuves d’identité – y compris biométriques – au moment de l’inscription dans un métavers afin de transformer les usagers en justiciables potentiels.

Par ailleurs, il existera probablement une concurrence entre les métavers. On parle déjà de « multivers » avec des canaux dédiés à la culture, aux loisirs, à une seconde vie… Certains professionnels comme David Ambrosino y voient l’occasion de développer de manière innovante l’assise des tiers de confiance comme les notaires et donc de renforcer la sécurité juridique des citoyens.

Les problèmes énergétiques, désormais incontournables, se posent d’autant plus pour le métavers qui est extrêmement consommateur en termes de stockage sur les serveurs. On pourrait également évoquer les sujets de protection des données personnelle, de santé, de fracture numérique, d’éducation des enfants et des adolescents, d’abolition des frontières entre monde réel et monde virtuel…

Finalement, la question principale que soulève le métavers est la suivante : comment conserver l’intérêt de la « vraie vie » face à cette offre pléthorique ? Le métavers ne servira-t-il pas de refuge émotionnel aux plus fragiles ? La sphère professionnelle fait déjà face à un bouleversement sans précédent aggravé par la pandémie récente. À l’heure du big quit (grande démission) et du quiet quitting (démission silencieuse), deux phénomènes mondiaux, la population active risque de délaisser encore plus les emplois qui soutiennent l’économie réelle pour tenter leur chance dans le nouvel eldorado du métavers alors nous avons plus que jamais besoin de retrouver collectivement du sens.

(1) Source : beincrypto, 09/04/2022

(2) Source : Numerama, 15/11/2021

Finance_durable_2

La finance durable : une évolution constante de la réglementation européenne

Céline Alcouffe
Consultante
Benjamin Balluais
Consultant

Dans le cadre de la vente de produits financiers et d’assurance, le conseiller a l’obligation de recueillir auprès de son client un certain nombre d’informations : sa situation financière, ses connaissances et expériences en matière d’investissement, ses objectifs d’investissement et l’horizon désiré (court, moyen ou long terme) ainsi que sa tolérance au risque. Ce « questionnaire de connaissance client » permet au conseiller d’établir le profil d’investisseur de son client afin de lui conseiller le(s) placement(s) le(s) plus adapté(s) à son contexte. Depuis le 02 août 2022 (1), à cette collecte d’informations, s’ajoutent les préférences Environnementales, Sociales et de Gouvernance (ESG) du client.

Cette nouvelle obligation s’inscrit dans la continuité de directives et règlements européens dont l’objectif est d’optimiser la sécurité, la transparence et le fonctionnement des marchés financiers, mais surtout la protection des investisseurs, notamment en matière de finance durable.

Le schéma ci-dessous illustre le socle réglementaire sur lequel se base le recueil des préférences ESG.

Quel est le lien entre la finance durable et les préférences ESG ?

Les critères « ESG » relèvent donc de l’analyse extra-financière puisque la rentabilité pécuniaire n’est plus l’unique grille de lecture pour évaluer un acteur économique. La gestion de l’écosystème de ce dernier est également prise en compte :

  • « E » pour « Environnement ». Ce critère s’intéresse à l’impact d’un acteur économique sur l’environnement (gestion des déchets, réduction des émissions de gaz à effet de serre, etc.)
  • « S » pour « Social ». Ce critère se focalise sur la gestion des parties prenantes d’un acteur économique (gestion du personnel, des partenaires, etc.)
  • « G » pour « Gouvernance ». Ce critère vérifie l’intégrité de l’organisation et la gestion mises en place (indépendance du conseil d’administration, vérification des comptes, etc.)

Quels sont les impacts du recueil des préférences ESG pour les conseillers financiers concernés ?

Selon l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), les préférences ESG s’articulent autour de 3 axes :

Résumé de l’article de l’AMF sur le sujet

Les impacts qu’entraine le recueil des préférences ESG pourraient s’identifier sur plusieurs niveaux :

  • La stratégie puisque selon le 3ème axe (cf. schéma ci-dessus) la société de gestion doit publier les informations relatives aux incidences négatives de ses produits de placement ;
  • Les processus avec l’actualisation des modalités de conseil notamment. En effet, si aucun investissement ne correspond aux préférences ESG émises par le client, le conseiller financier doit le formaliser par écrit ;
  • Le système d’information avec l’intégration de nouvelles données (adaptation de l’éditique et des outils d’avant/vente pour la collecte des préférences ESG ; ainsi que de l’outil de gestion pour la prise en compte et le suivi) ;
  • L’organisation avec en particulier la formation des conseillers financiers pour accompagner leurs clients.

Mais l’impact s’étend également aux autorités financières qui doivent rester mobilisées pour accompagner à leur tour les organisations assujetties à ce nouveau cadre législatif

Dans ce contexte, l’autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (European Insurance and Occupational Pensions Authority, EIOPA) a publié le 20 juillet dernier, un guide pour les acteurs du monde assurantiel (Guidance on the integration of the customer’s sustainability preferences in the suitability assessment under IDD). Ce guide, qui se veut avant tout didactique, met en avant les nouvelles règles et présente les exigences applicables de façon plus explicite, avant que d’autres outils viennent renforcer le dispositif.

De même, l’ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Régulation) annonce de son côté qu’elle « accompagnera, comme elle le fait toujours, les professionnels concernés dans la mise en œuvre la plus satisfaisante possible des nouvelles obligations auxquelles ils doivent se conformer. »

La réglementation européenne doit continuer à évoluer pour éviter les dérives

« 76 % des Français estiment que l’impact des placements sur la qualité de l’environnement (pollution, biodiversité, etc.) est un sujet important. » (2)

Pour répondre à cette tendance, les placements dits « durables » se sont multipliés en France mais également en Europe. Et « l’essor de la finance durable s’est accompagné du développement de multiples terminologies et pratiques qui complexifient la lisibilité des caractéristiques « durables » d’un produit financier » (3) (cf. ci-dessous le tour d’horizon européen réalisé par Novethic en juin 2019).

Par ailleurs, le greenwashing ou « écoblanchiment » (méthode marketing dont le but est de donner une image éco-responsable trompeuse) qui se pratique notamment dans les secteurs de la mode et de l’automobile, se répand de plus en plus dans le monde de la finance.

Pour aider et protéger les investisseurs, les régulateurs ont mis en place des labels, synonyme de confiance et d’intégrité (accordés par des tiers après des audits indépendants).

Cependant, l’absence de référentiel unique européen entraine des pratiques différentes d’un pays à l’autre (comme l’illustre le tableau ci-après concernant les exigences de couverture de l’analyse ESG (4)) et soulève des difficultés pour les investisseurs, en particulier ceux qui investissent au niveau européen.

La définition de normes et standards dans la finance durable doit donc s’inscrire dans une démarche d’amélioration continue afin de corriger les dérives actuelles mais également anticiper celles à venir.

(1) A partir du 1er janvier 2023 pour les Conseillers en Investissements Financiers (CIF)

(2) « Les Français et les placements responsables », rapport AMF, Juillet 2021

(3) Extrait du document « Panorama des labels européens de finance durable », Novethic, Juin 2020

(4) Combinaison de 2 tableaux issus du document « Panorama des labels européens de finance durable », Novethic, Edition 2022

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Euro Numérique : la riposte de la Banque Centrale Européenne face aux cryptoactifs

Florence Baldo
Ingénieure conseil

Les dernières révolutions monétaires mondiales remontent à l’invention de la monnaie-papier en 1716 par John Law et bien sûr à la création de l’euro en 1999. Cependant, depuis quelques années, les cryptoactifs ont envahi le paysage des paiements au grand dam des États qui y voient une perte de souveraineté vertigineuse. Absence de régulation, financement d’activités illégales, conséquences écologiques désastreuses… le bitcoin a mauvaise presse auprès des politiques, et pourtant sa popularité ne cesse de grandir. La pandémie de covid-19 a encore accentué ce phénomène tandis que les besoins en paiements électroniques ont explosé en raison des commandes en ligne.

Face à cette situation, la Banque Centrale Européenne a lancé un projet ambitieux : une phase d’étude de deux ans pour explorer les conditions nécessaires à la création d’un euro numérique à partir d’octobre 2021. Cette initiative de grande ampleur lui permettrait d’entrer en concurrence avec les cryptoactifs, faute de pouvoir les réguler frontalement, et de renationaliser un euro submergé par la création de monnaie. Si les bénéfices peuvent être nombreux, plusieurs limites émergent déjà. La reconquête de la souveraineté monétaire s’annonce comme un chemin de croix à l’issue aussi incertaine que passionnante.

Faire de l’Euro numérique une nouvelle poche monétaire : un projet d’une ampleur inédite

La Chine et les Etats-Unis travaillent depuis longtemps à la mise en place de leur monnaie numérique, mais la BCE a longtemps hésité avant de se lancer. Pour cela, elle a consulté de nombreux citoyens ainsi que des milliers de professionnels au sein de l’Union. Son objectif ? Créer un moyen de paiement virtuel aussi efficace qu’un cryptoactif mais beaucoup plus sûr et surtout plus stable.

Les euros numériques seront stockés dans un portefeuille propre à chaque particulier ou entreprise. Au début, le montant attribué serait limité à 3 000 euros sous forme de jetons ou tokens. Ces droits pourraient ensuite évoluer en fonction des besoins et de l’adhésion des acteurs. Les technologies envisagées sont notamment les TIPS (TARGET Instant Payment Settlements), validés par la BCE et utilisés en Italie depuis 2018. Ainsi, l’instantanéité des paiements ne sera plus l’apanage exclusif des Fintechs et des banques… Les systèmes devraient être capables d’absorber 40 000 transactions par minute pour accompagner l’augmentation du volume des paiements en ligne.

Cependant, même si une suite était donnée à cette phase préparatoire, l’euro numérique ne verrait pas concrètement le jour avant 2025 ou 2026.

Des bénéfices évidents pour une Union européenne en quête d’affirmation

L’euro numérique permet à la BCE de répondre à plusieurs problèmes : tout d’abord, même si certains courants du libéralisme ne sont pas d’accord, l’émission de monnaie est historiquement une fonction régalienne. Remettre l’euro au centre de l’Union européenne en l’asseyant sur un socle technologique solide serait une réussite incontestable en ces temps de création monétaire excessive.

Ensuite, au-delà de la dimension symbolique, cela permettrait de consolider l’économie en sécurisant les paiements et les transactions, y compris les plus délicates. Le corollaire se trouve bien entendu dans la limitation des activités illégales et la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme : les déclarations fiscales, la perception de la TVA, les acquisitions immobilières… Tout serait simplifié et tracé.

La BCE souligne également le caractère écologique de l’euro numérique par rapport au bitcoin, immense consommateur d’énergie. Cependant, il s’agit d’une simple déclaration à ce stade : aucun détail n’est fourni quant à la mise en œuvre concrète.

Enfin, l’euro numérique constituerait un ultime pied-de-nez aux cryptoactifs caractérisés par une croissance désordonnée, une volatilité importante et de nombreux aléas technologiques. Cette stabilité n’est pas pour autant garantie par un adossement aux réserves de la BCE. Cette dernière a précisé le montage dans un rapport de 2020 : « des intermédiaires privés supervisés seraient les mieux placés pour fournir les services auxiliaires, adaptés aux utilisateurs, et pour élaborer de nouveaux modèles d’activité à partir de [la] fonctionnalité de base [de l’euro numérique]. »

Le succès de l’euro numérique est-il garanti ?

Si les intentions sont louables, la réalité sera peut-être tout autre. La faiblesse des droits initiaux (3 000 euros) risque de compliquer l’adhésion lors du lancement. Ce paramètre peut évoluer d’ici là, d’autant que l’euro numérique ne comporte pas le même caractère spéculatif que les cryptoactifs.

La BCE, consciente de l’importance de la fracture numérique, soutient que les espèces ne disparaîtront pas pour autant, ce qui met à mal l’argument de la lutte contre la fraude : en effet, celle-ci est, pour ses plus gros volumes au moins, le fait de l’argent liquide, entre travail dissimulé et trafics divers.

Certains spécialistes relèvent également une potentielle atteinte à la vie privée : à terme, les citoyens européens auraient tous, d’une certaine façon, “un compte à Francfort » (1) qui pourrait être scruté dès le premier euro. Une perspective rassurante pour une Union désireuse de mieux contrôler les flux et les stocks de capitaux, et donc ses ressortissants…

La principale limite identifiée concerne la technologie blockchain sur laquelle reposerait l’euro numérique : elle est encore peu mature à l’échelle industrielle et il n’est pas prouvé qu’elle puisse absorber le volume prévisionnel de paiements ni même qu’elle soit plus écologique que le bitcoin. Cette incertitude pèse beaucoup sur ce projet qui ne peut se permettre d’être un échec.

Enfin, rien ne garantit que l’euro numérique aura la faveur du public. La multiplication des initiatives privées brouille les pistes : ainsi, Meta (ex-Facebook) réactive son Libra sous le nom évocateur de “Diem” et Amazon est sur le point de transformer l’essai en 2022 en créant sa propre cryptomonnaie pour ses clients, toujours plus nombreux. En 2020, le volume des ventes de la firme américaine a été estimé à 475 milliards de dollars par l’agence Marketplace Pulse Research !

Le concept est donc révolutionnaire mais risqué : redorer le blason européen avec une monnaie ni sonnante ni trébuchante, mais répondant aux exigences du jour. Est-ce que cela représentera enfin le grand retour des devises souveraines et le recul des actifs douteux, eux-mêmes en pleine mutation ? Certains détracteurs soulignent le risque de déflation, de récession, voire d’“hélicoptère monétaire”, pour reprendre la célèbre métaphore de l’économiste Milton Friedman. L’absence d’adossement direct aux réserves de la BCE pourrait aussi fragiliser cet édifice incertain.

Un premier bilan fin 2022 devrait permettre de voir plus clair dans cette entreprise titanesque. Nous ne manquerons pas de suivre ce feuilleton de près et de vous faire part de tous les rebondissements qu’il implique pour le monde, l’Europe et la France.

(1) Bruno Colmant, CEO de Degroof Petercam dans L’Écho, 17 juillet 2021.

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Les banques traditionnelles peuvent-elles faire face aux défis imposés par leurs concurrents digitaux ?

Kévin Martins
Consultant

Depuis plusieurs décennies, les banques et assurances traditionnelles, c’est-à-dire celles possédant des agences physiques, font face à un nouveau business model 100 % en ligne. Ces nouveaux acteurs s’appuient sur la dématérialisation pour attirer leur clientèle : toutes leurs offres, comme l’ouverture d’un compte, par exemple, sont disponibles et réalisables à distance : elles n’ont donc pas besoin de réseaux d’agences pour fonctionner. Les établissements traditionnels supportent un coût non négligeable pour le maintien opérationnel de leurs agences : entretien des locaux, frais de personnel, équipement en informatique…

Selon le cabinet Score Advisor, un réseau d’agences représente en moyenne 60 % des coûts d’une banque de détail et 15 % des agences ne seraient même plus rentables à cause de la baisse de fréquentation liée à la possibilité de faire ses opérations directement sur Internet.

Une attractivité indéniable du grand public pour les banques en ligne…

Entre janvier 2017 et janvier 2021, Boursorama est passée de 977 000 à 2,6 millions de clients, soit presque 3 fois plus de clients en l’espace de 4 ans. Il s’agit de la plus importante banque en ligne française. Le phénomène concerne aussi d’autres établissements : + 50 % chez Fortuneo avec 880 000 clients en 2021, + 114 % chez Hello Bank avec 608 000 clients en 2021… C’est donc l’ensemble des acteurs en ligne qui captent de plus en plus de clients avec, pour certaines comme Boursorama et Fortuneo, une hausse ininterrompue de la clientèle depuis 2017 !
La quasi-gratuité des opérations courantes et de la carte bancaire attire de plus en plus de personnes. D’autres avantages sont également à noter : 

  • La possibilité de faire toutes ses opérations courantes à distance 24 h / 24
  • Les horaires de contact du service client sont élargis (souvent du lundi au samedi après-midi)
  • La présence d’offres et de primes de bienvenue
  • Des taux pour les crédits immobiliers souvent plus attractifs que ceux des banques classiques et qui peuvent être proposés sans frais de dossier et sans indemnité de remboursement anticipé, à condition que le prêt ne soit pas racheté par la concurrence
  • Des livrets bancaires à taux bonifiés (généralement, sur quelques mois)
  • Des frais avantageux pour les ordres de bourse, sans droits de garde ni frais d’inactivité

… mais aussi l’assurance-vie nouvelle génération

Le placement préféré des Français vient de passer, cette année, la barre des 1 800 milliards d’euros d’encours. Ce marché est détenu à 58 % par les banques classiques grâce à la relation physique entre le banquier et son client. Pourtant, la qualité des contrats est souvent bien inférieure à celle de leurs homologues digitaux.

En effet, les banques ou courtiers en ligne proposent des contrats avec des fonds euros affichant de meilleurs taux de rendement – ce qui n’est pas anodin quand on sait que 75 % des encours sont placés sur ce support à capital garanti -, des frais contenus (absence de frais d’entrée, de frais de versement, de frais d’arbitrage, et des frais gestions les plus bas du marché) ainsi qu’une large palette d’unité de compte (UC).

D’ailleurs, ces informations sont beaucoup plus faciles d’accès sur des contrats en ligne que sur les sites des assureurs traditionnels, et l’on comprend aisément pourquoi : afficher une rémunération du fonds euros inférieure au marché (en moyenne de 1,08 % en 2020, selon le site Good Value for Money) en y ajoutant le détail des frais du contrat et un choix limité d’UC n’est pas vendeur. 

Voici deux exemples sur des contrats distribués par de grandes banques, respectivement Crédit Agricole et BNP Paribas :

  • Prédissime 9 série 2 (assureur : Prédica) : performance du fonds euros 2020 : 0,65 % / Frais sur versement : 3 % / Frais d’arbitrage : 0,5 % / Frais de gestion sur UC : 0,85 % et 20 UC disponibles
  • Multiplacements 2 (assureur : Cardif) : performance du fonds euros 2020 : 1 % / Frais sur versement : 2,75 % / Frais d’arbitrage : jusqu’à 1 % / Frais de gestion sur UC : 0,96 % et environ 60 UC disponibles

Comparons maintenant avec deux contrats d’un courtier en assurance en ligne, Linxea :

  • Linxea Avenir (assureur : Suravenir) : performance des deux fonds euros 2020 : 1,3 % et 2 % / Frais sur versement : 0 % / Frais d’arbitrage : 0 % / Frais de gestion sur UC : 0,6 % et 600 UC disponibles
  • Linxea Spirit 2 (assureur : Spirica) : performance du fonds euros 2020 : 1,65 % / Frais sur versement : 0 % / Frais d’arbitrage : 0 % / Frais de gestion sur UC : 0,5 % et environ 650 UC disponibles

Cette comparaison montre que le courtier propose des fonds euros qui peuvent rapporter jusqu’à 3 fois plus qu’un contrat distribué en banque classique, et ceci avec des frais très contenus et un large choix d’UC. Ainsi, à terme et à conditions inchangées, pour un même montant investi sur un support identique, le montant du contrat sera plus élevé chez ce courtier en ligne.

Dans ces conditions, les établissements en ligne seront-ils nécessairement les grands vainqueurs de la bataille entre ancienne et nouvelle école ?  

Les acteurs digitaux entre limites et difficultés

Tout d’abord, ils s’adressent à une clientèle spécifique : les personnes autonomes et capables de tout gérer en ligne en mode self care. Il faut aussi pouvoir se passer du contact d’un conseiller en présentiel car toute la relation a lieu à distance (par téléphone, mail et chat). En outre, certaines banques en ligne exigent un revenu ou un encours minimum pour disposer d’une carte bancaire. 

De même, les dépôts en liquide en agence sont interdits, sauf pour HelloBank et Monabanq qui les acceptent dans les agences BNP Paribas et Crédit Mutuel respectivement. Par ailleurs, tous les produits d’épargne ne sont pas disponibles ; par exemple, Fortuneo, BForBank et ING ne proposent pas de PEL. Dès lors, on constate que l’ensemble de la population ne peut être captée par les acteurs en ligne.

Une autre problématique fondamentale porte sur la rentabilité. Boursorama, pourtant lancée il y a 17 ans, est à peine rentable. Crédit Agricole vient de recapitaliser BforBank pour la troisième fois à hauteur de 125 millions d’euros, et Orange Bank enregistre 600 millions d’euros de pertes depuis son lancement il y a seulement 3 ans.

Ceci résulte d’une stratégie commerciale agressive reposant sur des tarifs très bas couplée à des offres spéciales et primes de bienvenue. L’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) estime d’ailleurs que cette politique peut représenter jusqu’à 24% de leurs revenus. 

En outre, seuls 7 % des clients choisissent leur banque en ligne comme banque principale. Ce phénomène de multi-bancarisation ne contribue pas à dégager de la rentabilité.

Seule Fortuneo serait rentable aujourd’hui. La plupart de ses clients y ont domicilié leur salaire, réalisé des placements (elle est la première en termes d’assurance-vie en ligne avec 25 à 30 % du marché) et souscrit un crédit. Selon La Tribune, un client lui rapporte en moyenne 200 € de produit net bancaire en 2019, soit 5 fois plus que ses concurrents.

Les banques en ligne doivent aussi tout mettre en œuvre dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. ING a ainsi été épinglée par l’ACPR qui estime que son dispositif de lutte anti-blanchiment en France est « globalement défaillant ». Pour faire simple, toute la chaîne de contrôle clients, de suivi, de détection des opérations et clients nécessitant une vigilance particulière et des signalements à Tracfin est à revoir. L’amende est de 3 millions d’euros et cela ne va pas arranger la situation économique déjà compliquée d’ING qui n’est pas parvenue à équiper sa clientèle en produits rémunérateurs. En effet, ING envisage de céder son activité de banque de détail en France.

Malgré ces limites, les banques en ligne sont bien présentes sur le marché et continuent de capter de la clientèle.

Vers une “remontada” des banques traditionnelles ?

La plupart des banques en ligne sont adossées aux banques classiques :

  • Boursorama appartient à la Société Générale
  • Hello Bank à BNP Paribas
  • Fortuneo au Crédit Mutuel Arkéa
  • BforBank au Crédit Agricole…

Ainsi, les banques classiques apportent un soutien économique aux banques en ligne, ce qui leur permet de proposer des offres attractives. Les clients des banques en ligne sont en quelque sorte « affiliés » aux banques classiques.
Pour rester dans la course, l’innovation numérique est primordiale pour apporter en continu des nouveautés aux clients. Comme le souligne le responsable de Meilleurebanque.com, « L’arrivée sur le marché des banques en ligne puis des néo-banques a incité les réseaux à investir dans leur appli, la pression se fait particulièrement sentir depuis 2015 ». Il est possible aujourd’hui de consulter ses comptes, d’effectuer un virement, d’éditer un RIB, de gérer ses dépenses et son budget… depuis son espace personnel. 

Cette capacité à innover doit être maintenue pour fidéliser la clientèle et la dissuader de partir à la concurrence. L’écart entre ces deux modèles bancaires sur le plan digital doit être le plus faible possible. Ceci est d’autant plus vrai quand on sait que 50 % des clients des banques traditionnelles consultent désormais l’application ou le site web de leur banque.

Par ailleurs, la relation conseiller-agence doit être repensée. Les Français restent encore fortement attachés à l’échange en présentiel, surtout dans les moments-clés de leur vie. Ils considèrent aujourd’hui que les conseillers ne délivrent pas suffisamment de valeur. Ainsi, dans une étude menée en 2019, le cabinet Deloitte démontre que 52 % des Français souhaiteraient demander à leur banque de leur recommander un avocat, 47% un notaire, 48 % de faire expertiser un logement. C’est bien dans la refonte du duo agence-conseiller que les banques pourront mieux fidéliser leurs clients. 

L’expérience client est devenue également incontournable. En 2020, les sujets qui impactaient le plus l’IRC (Indice de Recommandation Client) étaient :

  • La facilité à obtenir des réponses immédiates
  • L’accompagnement client
  • Des produits et tarifs simples à comprendre.

Les banques doivent donc concentrer leurs efforts sur la réactivité et la qualité du conseil.

En alliant le modèle traditionnel et le modèle digital, il devrait être possible de profiter des points positifs de chacun. Les acteurs 100 % en ligne offrent des tarifs attractifs et un quotidien simplifié. Ils pourraient apporter une expertise de premier niveau sur certains sujets. De leur côté, les banques classiques pourraient proposer une des conseils à haute valeur ajoutée sur des besoins plus spécifiques et réaliser des opérations plus complexes de type patrimonial nécessitant la rencontre entre client et conseiller en agence. L’efficience des acteurs numériques et le sur-mesure augmenté en agence : c’est peut-être ainsi que se dessine le futur paysage bancaire. 

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La nouvelle taxonomie verte : l’avenir de la gestion d’actifs à long terme ?

Florence Baldo
Ingénieure conseil

Le nouveau standard européen est porteur de sens mais révèle les disparités à l’œuvre au sein de l’Union.

Finance et développement durable n’ont pas toujours fait bon ménage : dans l’esprit des professionnels comme dans celui du grand public, la corrélation entre performance des actifs et « sustainability » n’existe que depuis les années 1990-2000, avec l’apparition des premiers fonds intégrant à part entière les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance). Si des progrès considérables ont été effectués concernant ces deux dernières catégories, qui semblent reposer sur des critères objectifs et quantifiables, la question environnementale demeure la plus épineuse, en particulier dans le contexte européen : la nouvelle taxonomie verte est supposée remédier à cette situation d’ici 2022, avec pour objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. C’est sans compter la difficulté à trouver un consensus autour de ce que sont les actifs dits « bas carbone » pour des pays européens déchirés sur la question de la transition écologique. La bataille des lobbies fait rage, et la dimension éminemment politique du sujet brouille la mise en place opérationnelle pour les gestionnaires d’actifs.

Un système de classification des activités « vertes »

Le plan d’action pour la Finance Durable de la Commission Européenne est issu d’une recommandation du Conseil européen relative à la création d’une taxonomie verte, c’est-à-dire un système de classification commun pour évaluer la durabilité de 70 activités économiques, représentant 93 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne, permettant de définir quels sont les actifs durables. Pour obtenir ce label, les actifs devront respecter au moins l’un des six objectifs environnementaux de l’Union européenne :

● Atténuation du changement climatique

● Adaptation au changement climatique

● Utilisation durable et protection des ressources hydrologiques et marines

● Transition vers une économie circulaire

● Prévention et contrôle de la pollution

● Protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes

Les critères sociaux et de gouvernance devront également être pris en compte.

Le Parlement européen préconisait également l’exclusion des activités liées au secteur du nucléaire et du charbon, ce qui n’a pas été relayé par la Commission européenne. Les États membres contribueront au débat par le biais de groupes d’experts (Technical Expert Group on Sustainable Finance ou TEG) et la mise en place d’une plateforme sur la finance durable. Leurs travaux portent sur :

1. Le reporting extra-financier des entreprises, qui permet de récolter des informations très détaillées sur les actions mises en place par les sociétés avant d’y investir

2. La définition d’un standard sur les Green Bonds

3. L’intégration du climat dans les indices financiers européens, afin de privilégier les énergies renouvelables au détriment des énergies fossiles

Or, ce dernier point est particulièrement sensible au sein de l’Union européenne, rarement à l’abri de dissensions.

Un difficile consensus autour d’un sujet très politique

La mise en place de la taxonomie verte oblige toutes les entreprises et tous les établissements financiers à transpariser les impacts positifs et négatifs de leurs actions et à les justifier. Si l’intention est louable, la réalité du terrain révèle de nombreuses disparités. En ce qui concerne le secteur de l’énergie, les lobbies européens se déchaînent : en effet, comment définir objectivement ce qu’est une énergie bas-carbone ? EDF milite pour la classification du nucléaire dans cette catégorie, tandis que les Allemands défendent le gaz comme la meilleure énergie de transition. Les Polonais sont toujours fortement dépendants du charbon… L’acceptation de telle ou telle énergie dépend des seuils d’émission de CO2 définis par l’Union européenne, ce qui déclenche l’hostilité des pays souhaitant pouvoir en garder une définition nationale.

Par ailleurs, certaines associations financières militent clairement contre le projet de taxonomie verte qu’ils estiment liberticide. Un nombre restreint d’acteurs financiers français et européens (Aviva, Groupe BPCE, BNP Paribas, BBVA, AXA et Allianz) plaident pour une acceptation sans condition du projet, mais les associations de sociétés de gestion, des marchés financiers, des banques, etc. sont favorables à une adoption sur la base du volontariat, avec une focalisation sur les fonds dédiés à la finance durable.

De manière inattendue, la taxonomie verte est devenue un sujet politique qui pourrait s’étendre à la classification de l’ensemble des produits financiers à moyen terme. Anne-Catherine Husson-Traoré, Directrice Générale de Novethic, explique : « La bataille de la taxonomie montre, une fois de plus, la difficulté à faire émerger une stratégie climat portée et soutenue par une Europe unie alors qu’elle négocie pourtant d’une seule voix au sein des COP, celle de l’Union européenne ! ».

Les impacts organisationnels pour les gestionnaires d’actifs

Si les gestionnaires d’actifs maîtrisent bien le reporting de performance classique, le reporting extra-financier se révèle plus récent et plus complexe. La mise en place de la nouvelle taxonomie verte suppose de mettre à jour les systèmes de référentiels liés aux actifs afin de produire le reporting le plus fiable possible. Dans cette perspective, cela suppose que les experts se soient mis d’accord en amont sur la définition des indices, et notamment des indices climatiques. Comme vu précédemment, les Français, les Allemands et les Polonais sont en désaccord sur le type d’énergie à privilégier.

Tous les indices devront logiquement être reportés dans le détail, et les indices ESG devront être comparés aux indices traditionnels afin de bien expliquer leurs spécificités aux épargnants, pour qui la finance durable reste parfois un concept un peu flou. Les gestionnaires d’actifs doivent donc faire preuve de pédagogie et d’innovation afin de se monter convaincants, tout en se reposant sur des labels éprouvés dans le domaine de l’Investissement Socialement Responsable.

La tentation de qualifier tous ces efforts comme étant du greenwashing est grande pour les climato-sceptiques ou le public peu averti. Afin de remédier à cette situation, la responsabilité incombant au législateur est immense : seul un renforcement des obligations réglementaires permet de standardiser l’information et d’accéder à la meilleure transparence possible. Selon un sondage Odoxa du 17 décembre 2020, 75 % des Français sont prêts à souhaiter inscrire l’écologie dans la Constitution dans le cadre du futur référendum annoncé par le Président Macron. Sont-ils également prêts à changer de paradigme quant à leurs investissements financiers ?


Green bonds : littéralement obligations vertes, parfois appelées obligations environnementales. Il s’agit d’un emprunt obligataire (non bancaire) émis sur les marchés financiers, par une entreprise ou une entité publique (collectivité, agence internationale, etc.) pour financer des projets contribuant à la transition écologique. La différence par rapport aux obligations classiques tient dans les engagements pris par l’émetteur d’une part, sur l’usage précis des fonds récoltés qui doit porter sur des projets ayant un impact favorable sur l’environnement, et, d’autre part, sur la publication, chaque année, d’un rapport rendant compte aux investisseurs de la vie de ces projets (Source : Delphine Cuny, La Tribune, 8 décembre 2017).

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Le crédit immobilier : des conditions de crédit de plus en plus inaccessibles ?

Alison Gallardo
Consultante

L’année 2021 a été marquée par un marché du crédit immobilier florissant soutenu par des taux toujours extrêmement bas. En effet, selon les chiffres de la Banque de France publiés le 3 novembre 2021, la production a atteint en septembre dernier 22,1 milliards d’euros pour un taux de croissance annuel de l’encours de 6,6 %. Cependant, cette dynamique exceptionnelle pourrait ralentir dans les prochains mois.

En effet, le HCSF (Haut Conseil de Stabilité Financière) a annoncé en juin dernier vouloir contraindre juridiquement les institutions bancaires à suivre ses recommandations concernant l’attribution de crédits immobiliers. Cette annonce a été suivie d’effet puisque que la décision a été publiée au Journal Officiel le 10 octobre 2021.

Un durcissement incontestable des conditions du crédit immobilier

Ainsi, dans le cadre d’un crédit immobilier, le HCSF – chargé d’exercer la surveillance du système financier – impose les règles suivantes à compter du 1er janvier 2022 :

  • Le taux d’effort : les remboursements de prêts ne pourront pas dépasser 35 % des revenus des emprunteurs, assurance décès-invalidité comprise. Ces 35 % sont calculés sur le salaire net avant impôts, comme c’était déjà le cas avant l’entrée en vigueur du prélèvement à la source.
  • La durée : la durée de remboursement des crédits ne pourra pas dépasser vingt-cinq ans. Toutefois, cette durée pourra être portée à 27 ans si le crédit immobilier est lié :
    • à une vente en l’état futur d’achèvement (VEFA) ou à une construction de maison individuelle ;
    • à une acquisition dans l’ancien donnant lieu à un programme de travaux dont le montant représente au moins 25 % du coût total de l’opération et qui a pour objet la création de surfaces habitables nouvelles ou de surfaces annexes, la modernisation, l’assainissement ou l’aménagement des surfaces habitables ou de surfaces annexes, la réalisation de travaux de rénovation énergétique.
  • Investissement : toutes les charges seront prises en compte dans le calcul du taux d’endettement ou taux d’effort des investisseurs en locatif. Auparavant, les banques appliquaient un calcul différentiel plus favorable.

Ce durcissement des conditions d’octroi de crédit va donc sans aucun doute entraîner un accès beaucoup plus compliqué à la propriété pour les jeunes acquéreurs ne disposant pas d’épargne. Ce phénomène, s’il était couplé à une hausse future de l’inflation, impacterait de manière significative la capacité d’endettement de ces foyers en fermant les portes du crédit aux dossiers les plus tangents.

En effet, malgré des taux moyens inférieurs à l’inflation (selon l’Observatoire Crédit Logement / CSA, au troisième trimestre, les emprunteurs ont bénéficié d’un taux moyen de 1,05 % quand l’inflation moyenne sur cette même période était à 2,1 %), cette conjoncture ne sera favorable aux emprunteurs que si elle se poursuit dans le temps et si la courbe des salaires était elle aussi indexée à l’inflation.

Des initiatives juridiques en faveur des emprunteurs

Malgré un contexte d’octroi de crédit épineux pour toute une partie de la population, deux lois ont bouleversé le marché de l’assurance emprunteur es dernières années, avantageant favorablement les consommateurs :

  • La loi Hamon, dite loi « sur la consommation », est en application depuis 2015. Elle permet aux assurés de résilier leur contrat d’assurance au bout d’un an d’adhésion sans être exposé à des pénalités. Celle-ci s’applique également aux contrats à tacite reconduction. Avec cette loi, l’assuré est libre de rompre son contrat pour n’importe quel motif, sans avoir à se justifier auprès de son assureur.
  • L’amendement Bourquin, intégré dans la loi Sapin 2, est quant à lui entré en vigueur le 22 février 2017. Il est officiellement applicable depuis le 1er janvier 2018. Cet amendement permet aux emprunteurs de résilier leur contrat d’assurance de prêt immobilier chaque année à la date anniversaire de leur contrat en respectant un préavis de deux mois. La résiliation doit s’accompagner des conditions du nouveau contrat (certificat d’adhésion, délégation de bénéfice, fiche standardisée d’information) et l’acceptation par la banque est soumise à l’équivalence de garanties entre l’ancien et le nouveau contrat.

À cela vient s’ajouter la Résiliation Infra-Annuelle (RIA), texte qui sera discuté dans l’hémicycle le 25 novembre 2021. Si cette mesure demandée était adoptée, elle offrirait la possibilité de ne plus attendre la date d’échéance annuelle pour résilier son contrat d’assurance de prêt afin d’en souscrire un autre dans le cadre de la délégation d’assurance.

En jouant sur ces différentes options, les emprunteurs peuvent réduire significativement le montant global de leur crédit immobilier. Pour les détenteurs de prêts plus anciens, il est également toujours possible de renégocier le taux si cela n’a pas déjà été fait.

Cependant, il faut prendre garde à l’effet boomerang. Si la mesure de Résiliation Infra-Annuelle était adoptée, les banques pourraient revoir leur taux de crédit à la hausse pour pallier la fuite des ressources financières liées à ces contrats d’assurance qui se déportent vers des établissements plus “low cost”.

En conséquence, les conditions d’octroi du crédit immobilier cachent une situation économique pouvant être très hétérogène selon le profil des clients et l’exercice de leurs options contractuelles. À l’avenir, les modifications de la réglementation ainsi que la variation de l’inflation seront des facteurs clés dans l’évolution des taux et de la production bancaire associée.

En alliant le modèle traditionnel et le modèle digital, il devrait être possible de profiter des points positifs de chacun. Les acteurs 100 % en ligne offrent des tarifs attractifs et un quotidien simplifié. Ils pourraient apporter une expertise de premier niveau sur certains sujets. De leur côté, les banques classiques pourraient proposer une des conseils à haute valeur ajoutée sur des besoins plus spécifiques et réaliser des opérations plus complexes de type patrimonial nécessitant la rencontre entre client et conseiller en agence. L’efficience des acteurs numériques et le sur-mesure augmenté en agence : c’est peut-être ainsi que se dessine le futur paysage bancaire. 

finance verte

Les Sustainable Finance Disclosure sont entrées en vigueur

 Florence Baldo et Rajaa Imlahi
Ingénieure conseil et Consultante

En quoi consistent les nouvelles obligations SFDR ? Quelles mesures les établissements vont-ils devoir adopter ?

Introduction

La finance ne cesse de s’inviter dans le débat écologique : dans notre dernière édition, nous vous faisions part des contraintes liées à la mise en place de la nouvelle taxonomie verte au sein de l’Union européenne. En parallèle, depuis le 10 mars 2021, certaines dispositions du règlement européen 2019/2088 dit Sustainable Finance Disclosure sont entrées en vigueur. L’AMF a apporté les précisions d’usage sur l’articulation entre le règlement SFDR et la recommandation DOC-2020-03 au sujet des informations à fournir par les gestionnaires d’actifs intégrant des approches extra-financières.

Par ailleurs, un nombre croissant de sociétés de gestion opère dans le secteur de l’investissement socialement responsable : par exemple, Sycomore Asset Management s’est spécialisé dans cette optique depuis sa création en 2001 ; Allianz Global Investors propose des fonds durables depuis 20 ans et a construit plusieurs équipes dédiées à la recherche et à la gestion dans le monde ; La Banque Postale Asset Management est devenu le premier gérant français avec 100 % de fonds labellisés ISR en 2021.

En quoi consistent les nouvelles obligations SFDR ? Quelles mesures les établissements vont-ils devoir adopter ?

Un nouveau contexte réglementaire

En novembre 2019, le règlement 2019/2088 sur « la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers » a été adopté par le Parlement Européen et le Conseil de l’Union Européenne. Ce règlement, communément appelé règlement « Disclosure » ou SFDR, a pour ambition d’encadrer la finance dans une transition environnementale et durable, en mettant en place de nouvelles règles de transparence pour les acteurs des marchés financiers et les conseillers financiers.

La version finale du cadre technique de cette réglementation, à savoir les RTS (Regulatory Technical Standards), a été publiée en février 2021 par l’EBA, l’EIOPA et l’ESMA.

Ce nouveau règlement vient donc s’ajouter aux obligations existantes en matière de reporting extra-financier dictées par l’article 173 de la loi sur la transition énergétique, qui oblige les établissements financiers à rendre compte régulièrement sur l’intégration des critères ESG dans leurs opérations d’investissement et à l’article 29 de la loi relative à l’énergie et au climat.

Des objectifs ambitieux

Le règlement « Disclosure » vise à établir des règles de transparence harmonisées pour les investisseurs institutionnels sur l’intégration des risques de durabilité et des incidences négatives en matière de durabilité, à savoir, les « PAI » (Principal Adverse Impacts ou Principales Incidences Négatives). Il s’agit en effet d’accroître la transparence des acteurs du marché financier sur la manière dont les opportunités et les risques de durabilité sont intégrés dans leurs décisions et recommandations d’investissement, dans les informations relatives aux produits financiers mais également dans leur politique de rémunération.

Les acteurs financiers sont concernés par ce règlement à plusieurs niveaux :

  • Au niveau de l’entité juridique : en tant que producteurs de produits financiers visés par ce texte de loi, les sociétés de gestion sont tenues d’intégrer les risques de durabilité ainsi que les incidences négatives en matière de durabilité dans leur politique générale.
  • Au niveau du produit financier : la prise en compte des risques précités dans les décisions d’investissement passe principalement par une définition claire des risques de durabilité pour chaque produit et par l’estimation de l’impact de l’intégration des critères ESG sur le rendement du produit.

Principales dispositions mises en œuvre le 10 mars 2021

A l’heure actuelle, l’innovation est devenue un « must-have » dans beaucoup d’organisations. Les banques et assurances n’échappent pas à cette règle, et le scepticisme autour des investissements dans l’innovation et la transformation digitale qu’avaient connu certaines entreprises va probablement s’éroder dans les prochains mois.

La mise en œuvre opérationnelle du Règlement Disclosure s’effectuera en plusieurs étapes. Les premières dispositions, qui sont entrées en vigueur le 10 mars 2021, se déclinent en 4 catégories :

    La transparence sur la prise en compte du risque de durabilité (art.3)

Selon l’article 3 du règlement SFDR : “Les acteurs des marchés financiers doivent publier des informations sur leurs politiques d’intégration des risques de durabilité dans leur processus de prise de décision en matière d’investissement…”

Il s’agit, pour la société de gestion, de décrire comment son processus de gestion des risques intègre la notion de durabilité. Elle doit ainsi décrire la démarche adoptée pour identifier et quantifier les incidences qu’un évènement environnemental, social ou lié à la gouvernance d’entreprise est susceptible d’avoir sur le rendement des produits financiers.

Pour se conformer à ces exigences, il est nécessaire pour ces entreprises d’évaluer, de façon permanente, l’ensemble des risques pertinents en termes de durabilité, pouvant avoir un impact négatif sur le rendement financier d’un investissement. Elles sont également tenues de présenter, dans leurs politiques générales, la manières dont ces risques sont intégrés et de les publier sur leurs sites internet.

    La transparence sur la prise en compte des “principales incidences négatives” ou “PAI” (art.4)

A partir du 10 mars 2021, les sociétés de gestion de portefeuilles ont commencé à décrire, sur une base volontaire, la démarche qu’elles ont adoptée pour identifier et évaluer l’impact de leurs investissements et / ou leurs conseils en investissements sur les facteurs de durabilité. Les acteurs des marchés financiers et les conseillers en investissement financier de plus de 500 salariés seront concernés par cette mesure dès le 30 juin 2021.

Par ailleurs, ces entreprises devront établir, sur une base annuelle, un rapport sur l’impact de leurs investissements et/ou leurs conseils en investissement sur un ensemble de critères définis par les RTS et rendre compte régulièrement sur son évolution.

La période d’observation, ouverte le 10 mars 2021, sera donc clôturée en fin d’année et un premier rapport qualitatif sera publié à cet effet en 2022.

    La transparence sur la politique de rémunération (art.5)

Avec ce nouveau règlement, les sociétés de gestion sont tenues de publier, sur leur site internet, des informations sur leurs politiques de rémunération, en indiquant comment ces politiques sont adaptées à l’intégration des risques de durabilité : à savoir qu’elles doivent encourager la prise en compte de ces risques dans les décisions d’investissement et /ou de conseil en investissement.

    La transparence des produits financiers sur la prise en compte des risques de durabilité (art.6)

Désormais, la prise en compte des risques de durabilité s’applique à tous les fonds et mandats de gestion ou de conseil, et il en va de même pour les PAI. Il convient dans ce cas, pour la société de gestion, de présenter la manière dont ces risques sont gérés au niveau de leurs produits et mandats, en décrivant comment sont intégrés les incidences qu’un évènement, environnemental social ou lié à la gouvernance d’entreprise, est susceptible d’avoir sur le rendement du fond, produit ou du mandat conseillé.

Les résultats de l’évaluation de ces incidences négatives sur le rendement du produit financier doivent être communiquées en toute transparence aux clients.

Ces informations doivent faire l’objet d’une publication dans le prospectus du fond ou du mandat de gestion mais aussi dans le contrat de conseil (pour les conseils en investissement ou en assurance).

Prochaines Etapes

Source des dates : Autorité des Marchés Financiers

Conséquences pour le secteur financier : impact de l’obligation de classification des produits financiers sur les sociétés de gestion

Le règlement SFDR définit deux catégories de produits :

  • Ceux qui promeuvent des caractéristiques environnementales et / ou sociales (produits dits « article 8 »)
  • Ceux qui poursuivent des objectifs d’investissement durable (produits dits « article 9 »)

Cette obligation de classification concerne plusieurs acteurs financiers, dont les gestionnaires d’actifs, qui vont devoir opérer une analyse complète de leurs fonds et mandats pour se conformer à ces nouvelles exigences. Pour ce faire, ils devront produire une revue des rapports des sociétés, conformément à la directive NFRD, et la publier en l’intégrant dans leurs informations, leurs rapports et leurs documents de gestion.

Ils auront donc pour mission d’identifier les produits, les classifier entre ces deux catégories et les transpariser au moyen de reportings réglementaires, notamment la matrice European MiFiD Template qui reflète le contenu des DICI.

Ces acteurs doivent désormais démontrer que leurs processus de prise de décision en matière d’investissement, la gestion des risques et la publication d’informations sur les produits qu’ils proposent sont parfaitement alignés.

Avec l’évolution de leurs méthodes de travail, ces entreprises doivent investir davantage dans la transformation de leurs systèmes d’information ainsi que dans la constitution d’équipes de gérants et d’analystes spécialisés en Investissement Socialement Responsable.

Conclusion

Au début de son quinquennat, le président Macron avait affirmé vouloir réorienter les flux de capitaux vers des investissements durables en matière environnementale, sociale et de gouvernance plutôt que vers l’épargne ou l’immobilier.  Le règlement SFDR devrait permettre d’intégrer la « sustainability » ou durabilité dans la gestion des risques, tout en favorisant la transparence et une vision à long terme. Même si l’exigence de reporting a été établie, il reste à mesurer l’impact concret des dispositions SFDR face à des indicateurs concrets et extrêmement suivis comme l’empreinte carbone. D’une manière générale, les établissements font face à une problématique de disponibilité et d’intégrité des données utilisables ainsi qu’à une pénurie de profils spécialistes, tant du côté Métier que du côté projet.

L’une des principales difficultés de l’application de ce règlement réside dans la notion même de “durabilité” : si l’on comprend bien qu’il s’agit d’investir sur du long terme, dans des énergies renouvelables et de favoriser l’économie circulaire, l’absence de définition scientifique et le flou relatif qui entoure cette notion font qu’elle est amenée à évoluer, déstabilisant ainsi l’adaptation des processus par les établissements concernés.

covid et solvency

Solvabilité 2 : Taux bas, crise sanitaire et enjeux d’une révision du cadre prudentiel

Georges Bilong
Consultant

Les acteurs du secteur de l’assurance expriment leurs inquiétudes suite à la révision du cadre prudentiel Solvabilité 2 dans un contexte de baisse des taux et de crise sanitaire.

Entrée en vigueur le 1er janvier 2016, Solvabilité 2 est une norme prudentielle regroupant un ensemble de règles qui fixent le régime de solvabilité s’appliquant aux sociétés du secteur de l’assurance dans l’UE. L’objectif visé est de garantir que les entreprises d’assurances seront capables de faire face aux besoins de leur clientèle quelles que soient les circonstances, y compris en cas de survenance d’un évènement extraordinaire (crise financière, catastrophe naturelle, etc.). Solvabilité 2 se veut plus solide que le précédent régime (Solvabilité I), et devrait dans le principe mieux assurer la protection des assurés, car elle se fonde sur une analyse exigeante des paramètres économiques des risques.

Selon plusieurs professionnels du secteur, bien que la nécessité d’un nouveau cadre prudentiel ne soit plus à démontrer, il semble indéniable que ce nouveau régime a eu aussi bien des effets pervers que des carences qui se sont dévoilées au fil du temps, en particulier dans ce contexte de crise économique (basculement des taux en négatif, dégradation des ratios de solvabilité, etc.) et de crise sanitaire. Ainsi, nombreux sont ceux qui ont d’une part dénoncé les contraintes drastiques de cette réglementation née dans un contexte d’après-crise financière, aussi bien en termes de reporting, de gouvernance, de gestion des risques que d’investissements, et d’autre part insisté sur la nécessité absolue d’une révision de cette norme.

Suite à plusieurs consultations (qui se sont tenues sur la période d’octobre 2019 à juillet 2020), l’EIOPA (autorité européenne des assurances) a transmis le 17 décembre 2020 ses propositions de révision du régime Solvabilité 2 à la Commission européenne.

Cette nouvelle révision qui ne semble guère rassurer les professionnels du secteur s’apparente beaucoup plus à une évolution qu’à une révolution. Ainsi, pour François Villeroy de Galhau, président de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), la révision devrait avoir « un impact neutre en termes d’exigences de fonds propres, hormis le choc de taux ». Cependant, l’environnement actuel des taux négatifs devrait alourdir ce choc. D’après la Fédération Européenne de l’Assurance, les ajustements sur Solvabilité 2 devraient affaiblir le secteur assurantiel et son aptitude à investir dans l’économie. Ainsi les barrières aux investissements de long terme ne semblent pas avoir été adressées dans les récentes propositions.

Faisant désormais l’objet de toutes les attentes et toutes les attentions, la Commission Européenne devra impérativement se saisir et s’approprier toutes les propositions et sujets connexes afin de publier ses conclusions dans un texte au courant de l’été 2021.

Rappel des dispositions règlementaires du texte initial Solvabilité 2

La norme Solvabilité 2 dont les dispositions ont été établies par le superviseur assurantiel européen (EIOPA : European Insurance and Occupational Pensions Authority) a pour objectif l’harmonisation et le soutien du marché de l’assurance en Europe. Cette directive garantit la solvabilité des compagnies d’assurances, en d’autres termes leur capacité à faire face à leurs engagements envers leurs clients assurés. Comparativement à Solvabilité 1, cette nouvelle directive établit une nouvelle approche notamment via l’intégration d’un système global de gestion des risques et une méthode de valorisation du bilan.

Afin de réduire le risque de faillite et d’optimiser la performance dans le secteur, Solvabilité 2 s’articule en 3 piliers :

    • Pilier 1 – Les exigences quantitatives
      En d’autres termes, d’une part les principes de valorisation des actifs et des passifs, et d’autre part les exigences de capital et leur méthodologie de calcul. Deux indicateurs ont été développés par EIOPA afin d’apprécier la solvabilité des assureurs européens, et harmoniser les données des divers acteurs :

      • SCR (Solvency Capital Requirement ou le capital de solvabilité requis en français) : il correspond au niveau requis en termes de capital pour assurer la continuité d’activité ou qu’il faudrait posséder au minimum afin de limiter chaque année la possibilité de faillite de l’assureur à un niveau inférieur à 0,5 %. A partir du moment où l’organisme ne respecterait plus son ratio SCR, le superviseur se chargerait d’établir un plan de redressement en concertation avec ce dernier ;
      • MCR (Minimum Capital Requirement ou le minimum de capital requis en français : il correspond au niveau minimum de fonds propres en deçà duquel les intérêts des parties prenantes (notamment les assurés) serraient gravement en péril si l’organisme était autorisé à poursuivre ses activités. Si le MCR d’une entreprise se retrouve supérieur aux capitaux propres, le régulateur devrait automatiquement intervenir afin d’établir un plan de redressement.

      Les provisions techniques comprennent d’une part le « Risk Margin » (marge de risque) et d’autres part le « best estimate » (meilleure estimation). La « marge de risque » correspond au coût du capital qu’il faudrait que le cessionnaire lève afin de couvrir ses contraintes de capital jusqu’à l’extinction des éléments du passif. La « meilleure estimation » correspond au montant (pour lequel la probabilité de survenue ou non a pu être calculée) des flux de trésorerie à venir rattachés au contrat (sortants ou entrants) actualisés à un taux sans risque approprié.

    • Pilier 2 – Les exigences qualitativesCes dernières comprennent :
      • Premièrement, un ensemble de règles de gestion des risques et de principes de gouvernance. La directive Solvabilité 2 astreint les compagnies d’assurance à l’établissement d’un système de gouvernance efficient dont l’objectif est d’assurer une gestion sérieuse et prudente. Afin de respecter la règle dite des « 4 yeux », ce système de gouvernance comporte au minimum 2 dirigeants effectifs. Par ailleurs, 4 responsables de fonctions clés sont prévus, parmi lesquelles les fonctions conformité, actuarielle, audit interne et gestion des risques ;
      • Deuxièmement, le « ORSA » (Own Risk and Solvency Assessment ou évaluation propre des risques de la solvabilité en français). Cette exigence renvoi à un processus interne de mesure des risques et de la solvabilité par la compagnie d’assurance. Elle permet d’illustrer la capacité du groupe d’assurance à identifier, évaluer et gérer les éléments de nature à influer sur sa solvabilité.
    • Pilier 3 – Les informations adressées au public et au superviseurCe troisième pilier présente les exigences de reporting et de communication des informations financières et prudentielles. Il a pour objectif d’harmoniser à l’échelle européenne les informations publiées par les assureurs (à l’endroit des assurés, analystes, actionnaires) ainsi que celles transmises aux autorités de supervision. Ces informations aussi bien qualitatives que quantitatives doivent être transmises pour la plupart à une fréquence annuelle et, pour quelques-unes de façon trimestrielle. Les informations quantitatives devront être converties en format XBRL avant transmission au superviseur. Le reporting solvabilité 2 se structure en 4 axes principaux :
      • Le reporting prudentiel européen : établi par EIOPA au niveau européen, il est composé de 2 rapports, le « Solvency and Financial Condition Report » (ou SFCR) à destination du public et le « Regular Supervisory Report » (ou RSR) à destination du régulateur. Ces reportings sont complétés par des états appelés « Quantitative Reporting Templates » ou QRT (il s’agit ici d’états quantitatifs) ;
      • Le reporting local, requis afin d’intégrer les particularités et les normes comptables locales propres à chaque marché. En France, ce reporting correspond aux Etats Nationaux Spécifiques (ENS), à transmettre à l’ACPR à une fréquence annuelle sans diffusion publique ;
      • Le reporting de stabilité financière, requis principalement pour les compagnies d’assurance présentant une valeur totale d’actifs supérieure à 12 milliards d’euros et fondé spécifiquement sur les QRT.
      • Le reporting BCE encore appelé « BCE add-ons » prévu par le règlement BCE/2014/50 du 20 décembre 2014.

Le reporting prudentiel comprend les états quantitatifs (QRT) ci-après :

    • Bilan prudentiel ;
    • États d’actifs et placements ;
    • États sur les provisions techniques (vie et non vie) ;
    • États sur les Fonds propres et participations ;
    • États « variation analysis » ;
    • États de solvabilité (SCR et MCR) ;
    • États de réassurance ;
    • États spécifiques groupes ;
    • États sur la stabilité financière.

Points clés de la révision Solvabilité 2

Dès sa création, la norme Solvabilité 2 a prévu une clause de révision s’articulant autour de 2 revues thématiques qui s’échelonneront sur la durée.

La première revue (datant de 2018) qui portait spécifiquement sur les méthodologies de calcul et le SCR avait trois objets principaux :

  • L’élimination des obligations de financement de l’économie non justifiées ;
  • L’allègement de la formule standard ;
  • La résolution des confusions techniques relevées depuis la mise en application de la norme prudentielle.

La révision réalisée en 2020 s’est avérée plus ambitieuse en présentant des points de refonte importants. Ces axes comprenaient prioritairement les exigences de reporting obligatoire, la règle de proportionnalité, les mesures du paquet branches longues, le SCR de taux, le « volatility adjustement ».

    1. Le principe de proportionnalité
      Le régime Solvabilité 2 prévoit l’hypothèse pour une compagnie d’assurance de faire usage de ce principe pour dimensionner la mise en conformité aux normes prudentielles à sa taille et à ses risques. La phase 2 de cette révision analyse l’éventualité d’une révision des seuils d’application de la norme et la règle de proportionnalité inhérente aux trois piliers. Diverses propositions ont été communiquées par le régulateur s’agissant des seuils d’application du régime prudentiel :

      • Permettre aux pays de l’Union Européenne de définir eux-mêmes le seuil d’application de la norme relativement aux primes perçues, ledit seuil devant se situer entre 5 et 25 millions d’euros par an ;
      • Doubler le seuil d’application de la norme pour ce qui concerne les provisions techniques (actuellement fixé à 25 millions d‘euros).

      Voici les probables évolutions des seuils d’application du régime Solvabilité 2 :

    2. Pilier 1
      La revue de la formule de calcul standard du SCR impacte plusieurs éléments, lesquels pourraient pour certains d’entre eux influer de manière significative sur un grand nombre d’acteurs. Ceux du secteur de l’assurance vie devraient donc être extrêmement attentifs aux évolutions de cet indice (SCR taux) mais aussi aux évolutions relatives au « volatility adjustment ».
      D’autres révisions attendues, à l’instar de la réduction du coût du capital pour la marge de risque ont au contraire été écartées par le régulateur européen, alors même qu’un consensus semblait envisageable. L’autorité européenne de l’assurance souhaite changer les stress tests du SCR taux afin de se conformer à un environnement de taux bas. Actuellement, ces tests reposent sur 2 postulats :

      • Si les taux sont négatifs, ils ne sont plus susceptibles de baisser ;
      • Plus les taux sont bas, moins leur évolution est envisageable.

      Les chocs évalués de façon linéaire seraient substitués par des formules affinées. Ces changements des stress vont altérer la solvabilité, spécifiquement celle des acteurs de l’assurance vie.

      Le « volatility adjustment » permet aux acteurs de réaliser une actualisation des provisions à un taux un peu plus avantageux. Si cette mesure est de droit sur le territoire français, elle nécessite la validation du superviseur dans d’autres pays. Aujourd’hui, un seul niveau de « Volatility Adjustment » est évalué pour l’ensemble de la zone euro. La Commission Européenne a ainsi émis le souhait de revoir ses critères d’application et d’accorder aux Etats en contexte de crise de prendre en considération un « volatility adjustment » particulier. Le régulateur européen envisage aussi une révision des principes de calcul aujourd’hui fondés sur un spread moyen de marché. Les entités « assurance vie » et branches longues se verraient particulièrement impactées de façon négatives. Les spreads négatifs devraient être pris en compte dans le calibrage.

      La courbe des taux est actuellement évaluée sous un postulat d’illiquidité des maturités supérieures à 20 ans, horizon appelé « Last Liquid Point » (en abrégé LLP). L’autorité européenne des assurances envisage de revoir cette méthode et étudie quatre options :

      • Conserver l’approche actuelle sur le LLP (20 ans);
      • évoluer vers un LLP à 30 ans ;
      • évoluer vers un LLP à 50 ans ;
      • Conserver le LLP à 20 ans mais en y intégrant une nouvelle approche d’extrapolation de la courbe des taux fondée sur des informations du marché (la méthode utilisée actuellement est celle de Smith-Wilson).

      En baissant les taux d’actualisation, un « Last Liquid Point » plus important devrait altérer le niveau de solvabilité, là encore pour le secteur de l’assurance vie et branches longues

      Concernant le « Best Estimate », le régulateur suggère de changer la frontière des frais en s’appuyant sur les frais attendus et non plus sur les frais passés. Présentement, l’évaluation du « Best Estimate » inclut les frais relatifs aux affaires récentes, cependant l’intégration des frais d’acquisition est du ressort des entités. La réforme est sans effet pour une institution qui intégrait déjà à 100 % les frais d’acquisition. En revanche, une baisse de 30 % est prévue dans le cas d’une institution qui écartait jusqu’à aujourd’hui les frais d’acquisition de son « Best Estimate » de primes.

      S’agissant des modules immatériels, 3 options sont mentionnées et le débat reste ouvert sur l’option idéale :

      • Option N°1 : aucune modification ;
      • Option N°2 : un ensemble de simplifications additionnelles (adopter une approche d’évaluation simplifiée qui se fonde soit sur un « regroupement » des risques auxquels l’institution est exposée, soit sur une baisse, un ajustement ou une diversification de ces risques) ;
      • Option N° 3 : nouvelles méthodologies communes pour l’ensemble des modules (adopter une « approche intégrée » d’évaluation du « SCR » pour les risques immatériels).

 

    1. Pilier 2
      FONCTIONS CLÉS :

      • Admettre l’agrégation de multiples fonctions clé ;
      • Permettre le cumul d’un poste clé et d’un statut de membre de l’Administration Management ou Supervisory Body en abrégé « AMSB » ;
      • Autoriser le cumul d’un rôle clé (hormis l’audit interne) et d’une fonction opérationnelle.

      ORSA (Own Risk and Solvency Assessment) :

      • Mesure des risques annuels en dehors du calcul de la différence entre le profil de risque de l’entité et les hypothèses qui soutiennent le SCR (chaque deux ans) ;
      • Autorisation de conduire des « stress tests » et de réaliser des études de scénarios d’avantage simplifiés.

      POLITIQUES ÉCRITES :

      • Flexibilité très importante accordée à la fréquence de revue ;
      • Intégration de la politique de rémunération.

      AMSB :

      • Examen fréquent de la structure et du fonctionnement réel de l’AMSB.

 

  1. Pilier 3
    QRT :

    • Séparation des QRT en 2 classifications : principale et non principale, avec des seuils fondés sur le risque ;
    • 8 états supprimés, 8 états remplacés, 7 états créés et modification (33 états) de divers QRT trimestriels et annuels ;
    • Harmonisation des modèles pour les données transfrontalières ;
    • Refonte de QRT.

    Une communication de l’intégralité du RSR au minimum une fois tous les 3 ans est recommandée par le régulateur avec la capacité d’instaurer une valorisation annuelle par les instances de contrôles. En ce qui concerne le contenu, certains segments seront identifiés comme « dynamiques », en dautres termes soumis à évolution constante, tandis que d’autres seront dites « statiques » et ne seront donc pas susceptibles de varier d’une année sur l’autre. Des changements sont envisagés sur les volets suivants du RSR :

    • Activités et résultats ;
    • Système de gouvernance ;
    • Profil de risque ;
    • Valorisation à des fins de solvabilité ;
    • Gestion du capital.

    SFCR :

    Le changement majeur proposé par le texte « EIOPA-BOS-19-309 » est de diviser en deux parties spécifiques le SFCR selon le public ciblé (section assurés) :

    • La première partie, considérablement allégée pour les preneurs d’assurance (considérés comme un public non averti) avec une production des données solos exclusivement ;
    • La deuxième partie plus détaillée destinée à une cible professionnelle apte à appréhender les détails techniques du SFCR (section non-assurés).

    EIOPA a défini d’autres innovations à l’instar de :

    • La proposition d’une obligation d’audit du SFCR groupe et solo avec rédaction d’un rapport d’audit publié en vue de s’assurer que le bilan prudentiel soit a minima soumis dans tous les pays membres à un audit externe par un professionnel qualifié ;
    • La capacité pour EIOPA d’imposer des audits supplémentaires relativement au SCR et aux fonds propres éligibles ;
    • L’ajout de 2 semaines sur l’échéance de remise obligatoire.

Impacts de la crise sanitaire et des taux bas sur l’activité et la solvabilité des assureurs

Selon l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution, l’environnement actuel de taux bas a eu un coût plus important en 2020 que la crise sanitaire Covid 19 en elle-même dans le secteur de l’assurance. En effet, le contexte sanitaire a eu un effet globalement modéré sur les revenus des assureurs et relativement limité à court terme sur la solvabilité de ces derniers. L’assurance vie a certes connu une baisse de sa collecte brute (cotisations versées), mais pas de quoi conclure à une véritable crise de confiance chez les clients épargnants. En assurance non-vie, les conséquences, bien que « restreintes », doivent être analysées en fonction des lignes d’activités. Ainsi, au deuxième trimestre 2020, le chiffre d’affaires a chuté de 3,2 % pour les activités d’assurance incendie et dommages aux biens, de 8 % pour l’activité d’assurance responsabilité civile et de 51 % pour les activités d’assurance transport, aérienne, maritime. Les tableaux ci-dessous permettent d’avoir une autre grille d’analyse des impacts dans le secteur au premier semestre 2020.

Les impacts que nous observons sur la solvabilité sont liés en bonne partie au retour des taux d’intérêts négatifs (Eurozone) et à l’effet des mesures de politique monétaire de crise sur l’élargissement des spreads.


impact covid solvency

Rétrospective 2020 : quels impacts sur le secteur banque et assurance ?

Kévin Martins
Consultant

Rétrospective 2020 : quels impacts de la pandémie de Covid-19 sur le secteur banque et assurance ?

Crise inédite et planétaire : la pandémie de la Covid-19 apporte son lot de conséquences économiques, sociales et bien évidemment sanitaires. Il est encore difficile de toutes les évaluer ainsi que de se projeter dans un avenir proche. Quels sont les impacts mesurables constatés jusqu’à présent sur le territoire national ?

La bourse en hausse, l’économie en berne

Après plusieurs cas de Covid-19 détectés en France, Emmanuel Macron décide d’un confinement national le 17 mars 2020 pour enrayer la progression du virus : une mesure que l’on peut qualifier d’exceptionnelle en temps de paix. En effet, tous les magasins, entreprises, lieux de sociabilité et de loisirs dits « non essentiels pour la vie de la nation » doivent temporairement fermer. Seuls les magasins d’alimentation et pharmacies restent ouverts.

L’activité économique du pays s’en trouve considérablement affectée, avec une chute du PIB de 8,3 % en 2020 à 2 130 milliards d’euros ; soit une baisse historique jamais enregistrée en deux siècles en-dehors des périodes de guerre.

Pour faire face à ces conséquences économiques, de nombreuses aides ont été mises en place. Citons le PGE (Prêt Garanti par l’Etat) qui permet aux entreprises dont la trésorerie est menacée par la crise de bénéficier de la garantie d’un prêt consenti par la banque pour lequel aucun remboursement n’est exigé la première année. Dans certaines conditions, le report des cotisations sociales, du paiement des loyers, des factures (eau, gaz et électricité) et des impôts desquels les entreprises doivent s’acquitter est également possible.

Une autre mesure très forte de soutien est la prise en charge de l’activité partielle : les salariés au chômage partiel reçoivent une indemnité versée par l’employeur et en contrepartie, l’employeur reçoit une allocation d’activité partielle cofinancée par l’État et l’Unédic. Ce dispositif fait donc coup double : il soutient à la fois les entreprises et les salariés. C’est aussi le plus généreux d’Europe : en 2020, son coût est de 27 milliards d’euros. Au plus haut, en avril 2020, il a permis d’aider 8,8 millions de Français.

La prime exceptionnelle pour les salariés exposés au Covid-19 dans le cadre de leur travail, la possibilité d’abaisser le taux de prélèvement des impôts à la source pour les personnes ayant subi une baisse des revenus tout comme l’aide aux étudiants ayant perdu leur travail ou stage sont autant de mesures d’accompagnement des français.

Ces mesures ont donc pour effet de soutenir à la fois l’offre et la demande, alors même que les Français, souvent privés de possibilités de consommer, ont thésaurisés près de 130 milliards d’euros en 2020.

Quelle relance pour l’après Covid-19 ?

À côté de ces dispositifs de soutien, il faut aussi penser à l’avenir, et cela passe par la reprise économique. En septembre 2020, un plan de relance nommé « France Relance » est créé. Il est doté d’une enveloppe de 100 milliards d’euros et vise à soutenir l’économie fortement dégradée par la pandémie. Le gouvernement espère ainsi atténuer les effets de la récession et restaurer la confiance des acteurs privés, des ménages et des entreprises.

Ce plan se compose de 3 axes :

  • Transition écologique (30 milliards d’euros) : les fonds sont consacrés à la rénovation énergétique des bâtiments, à la décarbonation de l’industrie et à la transition agroécologique. Il s’agit d’une relance dite « verte » ;
  • Compétitivité et innovation (34 milliards d’euros) : l’objectif est de baisser les impôts de production pour améliorer la compétitivité des entreprises et de financer les nouvelles technologies et les projets de recherche pour soutenir l’innovation et la création d’emplois nouveaux ;
  • Cohésion sociale (36 milliards d’euros) : les mesures concernent principalement la sauvegarde de l’emploi, l’investissement dans le domaine de la santé et l’emploi des jeunes.

Tous ces dispositifs d’aide à l’économie ont creusé la dette publique qui s’affiche à 115,7 % du PIB en 2020 (contre 97,6% en 2019), son niveau le plus élevé depuis 1949. Le fameux « quoi qu’il en coûte » a donc pesé sur les comptes de l’État.

Pour le moment, les économistes sont unanimes : la dette reste encore soutenable car son coût est actuellement très faible. En effet, les intérêts de la dette représentaient 2,6 % du PIB en 2011 contre 0,8 % en 2020 grâce au niveau historiquement bas des taux : la charge d’intérêt de la dette COVID est donc au final très faible. Des propositions d’annulation de cette dette ont été évoquées. Cela nous semble peu réaliste, car la confiance des prêteurs envers la capacité de la France à rembourser baisserait, et cela augmenterait mécaniquement la prime de risque et donc les taux des futurs emprunts. Rappelons que la France emprunte pour ses dépenses de fonctionnement.

Les marchés financiers épargnés par la crise ?

L’année 2020 s’est montrée très volatile : le confinement de mars a mis à l’arrêt une bonne partie de l’activité économique et renforcé l’incertitude quant aux conséquences de la crise sanitaire. Les indices boursiers ont donc fortement chuté. Le CAC 40 a ainsi perdu 38 % en seulement 1 mois, du 18 février 2020 au 18 mars 2020, sachant que le 18 mars a été le point le plus bas de l’année. Le S&P 500 a perdu 33 % et le Nasdaq 29 % sur cette même période.

Les indices ont ensuite rebondi grâce aux politiques accommodantes des banques centrales qui ont permis de financer les « nouvelles dettes liées au COVID », avec le rachat massif de dette publique. La BCE détient ainsi 20 % de la dette publique française. À cela s’ajoute un taux de refinancement de la BCE laissé à 0 % : tout est fait pour que l’activité économique continue et ne soit pas complètement stoppée par les effets de la crise sanitaire.

Les grands gagnants de l’année 2020 sont les valeurs technologiques comme les GAFA : le Nasdaq a terminé en hausse de 43 % en enchaînant les records historiques. Ce phénomène s’explique par la hausse des commandes en lignes, de l’équipement informatique avec l’essor du télétravail, du streaming, du nombre de produits Apple utilisés, des services fournis aux entreprises avec le Cloud, etc. Le S&P finit plus modestement avec une hausse de 15 %.

L’Europe est à la traîne : l’indice Euro Stoxx 50 a chuté de 4 %. Quant au CAC 40, il a baissé de 6 % car la prépondérance des valeurs technologiques y est plus faible. L’année 2020 a tout de même clôturé à 5551 points. On note pour autant un retour en grâce du marché action français sur le premier semestre de 2021 avec une progression record de 17,23% hors dividendes.

Les banques : une situation paradoxale

La forte baisse des indices en mars 2020 a donné des idées aux Français. En effet, on dénombre pas moins de 150 000 nouveaux investisseurs en bourse sur cette période avec un profil différent des « habitués » : ils sont plus jeunes et investissent des sommes plus modestes.

À la fin du 3ème trimestre, plus de 5 millions de PEA avaient été ouverts : il s’agit d’une appétence sans précédent de la part des particuliers pour les actions. Par exemple, chez Boursorama, 150 000 comptes titres et PEA ont été ouverts : c’est 4 fois plus qu’en 2019. Idem chez ING : le nombre de comptes-titres et PEA a connu une hausse de 60 %.

En outre, le confinement a apporté une augmentation de la collecte sur les comptes courants, les livrets réglementés et l’assurance-vie. Le niveau d’épargne/liquidités est estimé à près de 130 milliards d’euros en 2020. La grande question est la suivante : cette épargne gigantesque sera-t-elle réinjectée dans le circuit économique réel pour dynamiser la reprise ?

Le gouvernement qui souhaite inciter les Français à recourir à cette épargne propose des solutions comme la création du fonds « BPI France Entreprises1 » , qui permet d’investir dans les entreprises françaises, ou encore la possibilité jusqu’au 30 juin 2021 pour un parent ou grand-parent de donner jusqu’à 100 000 euros à ses enfants ou petits-enfants sans payer d’impôt si cette donation répond à un projet précis : construction d’une maison, travaux de rénovation ou création d’entreprise.

Il faut aussi noter que cette épargne forcée coûte aux banques : le taux de facilité des dépôts de la BCE pour les réserves excédentaires reste en effet négatif à -0,5 %, et l’environnement actuel de taux bas rogne leur marge d’intermédiation.

Ainsi, certaines banques (principalement hors France) ont commencé à taxer les dépôts de leurs clients. C’est une mesure encore loin d’être généralisée qui concerne uniquement les dépôts conséquents ou une clientèle aisée affiliée aux banques privées. Le levier d’action se situe beaucoup plus sur l’augmentation des frais bancaires et concerne principalement la tenue de compte et les virements occasionnels en agence. Cette stratégie permet également de propulser le « self-care » pour facturer tous les services annexes.

L’assurance-vie à la recherche d’un nouveau souffle

Les assureurs ont été à la peine en 2020 : l’assurance-vie a connu une décollecte de 6,5 milliards d’euros. Plusieurs facteurs d’explications sont possibles : en temps de crise, on privilégie l’épargne disponible rapidement sur les livrets réglementés. La forte baisse des marchés en mars et l’incertitude quant aux conséquences de ce nouveau virus a pu générer une crainte chez les épargnants, et, surtout, la baisse des rendements des fonds euros – le support d’investissement favori des Français – a suscité moins d’intérêt et n’offre pas de perspective intéressantes.

Le maintien de la politique de taux bas par la BCE, nécessaire dans ce contexte de crise sanitaire pour soutenir et favoriser la relance de l’économie, ne bénéficie pas aux performances des fonds en euros. Les émissions obligataires européennes se font à des taux très faibles (voire négatifs) et le stock d’obligations anciennes à taux attractifs diminue d’année en année, ce qui explique la baisse des taux des fonds en euros. En 2020, le rendement moyen réel net autour de 1,13 % contre 1,46 % en 2019, soit une baisse d’environ 33 points de base.

D’ailleurs, les assureurs incitent de plus en plus leurs clients à investir sur des unités de comptes (UC) en boostant le taux des fonds en euros si une certaine proportion est investie en UC, ou en affichant des limites de montant d’investissement sur ces fonds. Ainsi, en 2020, la part des versements sur les UC s’est développée de manière significative : collecte brute est passée de 28% en 2019 à 34% en 2020, soit 18,3 milliards d’euros.

2020 a contraint à une réaction forte des politiques de la BCE et du gouvernement pour limiter l’ampleur de cette crise sanitaire sur le front économique. Un fort rebond est attendu en 2021 : la Banque de France estime en effet que la croissance sera de 5,75 %, une des plus fortes d’Europe. L’épargne accumulée par les Français en deux ans atteindrait 200 milliards d’euros, soit 2 fois le plan de relance, « une réserve de croissance significative » selon le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau.

SURFI

Le SURFI 2.0 est arrivé

Stéphane Césaire-Gédéon
Consultant

Les nouvelles dispositions réglementaires permettent le passage de SURFI à RUBA.

Le contexte du changement

SURFI (Système Unifié de Reporting Financier) qui avait remplacé BAFI (Base des Agents Financiers) en 2010 est un reporting français qui fournit au régulateur des informations utilisées pour le contrôle prudentiel et des statistiques monétaires destinées à la Banque Centrale Européenne (BCE). Ce reporting va évoluer pour répondre aux nouveaux besoins formulés par le régulateur au travers des textes intitulés « Orientations de la BCE concernant les statistiques monétaires et financières ». Étant donné que cette réforme est accompagnée d’une nouvelle taxonomie, ce reporting SURFI change de nom et devient RUBA (Reporting Unifié Banques et Assimilés).

Initialement prévue en 2021, la réforme BCE des statistiques monétaires a été reportée en janvier 2022 en lien avec la crise du COVID-19. À cette même date, la taxonomie RUBA remplacera la taxonomie SURFI pour les remises mensuelles et en mars 2022 pour les remises trimestrielles.

La nouvelle architecture

Il s’agit de la première version de la taxonomie utilisant l’architecture dite Eurofiling qui est déjà utilisée pour les taxonomies CRR / CRD IV de l’EBA ou Solvabilité II de l’EIOPA.

En effet, les concepts de dimensions, d’arborescence d’état ou d’arborescence globale utilisés dans l’architecture de données SURFI sont désormais gérés via le modèle dit « Data Point Model » (DPM) qui a vocation à hiérarchiser et/ou regrouper les éléments intitulés métriques et dimensions (catégorie principale). RUBA n’utilise que ses propres métriques et les dimensions sont regroupées par la notion de domaine.
Par exemple, les codes dimensions MON (Monnaie de l’opération) et DEV (code devise) font partie du code domaine CU (Devise).

Cependant, la structure décrite par le DPM est techniquement matérialisée au format XBRL comme aujourd’hui.

Quels sont les principaux impacts sur le contenu des états ?

Les impacts sur les états sont conséquents puisque la Banque de France estime à 1 800 le nombre de nouvelles cellules à renseigner. Ces évolutions concernent 12 états existants dont 5 états monétaires, sur lesquels s’ajoutent de nouvelles lignes/colonnes et de nouvelles données à communiquer (cellules grisées auparavant). En outre, un nouvel état monétaire a été créé et est entièrement consacré à l’activité de cash pooling.
Ci-dessous, les 13 états concernés :

À noter : certains états ne sont pas repris, comme CREDITHAB qui a été inclus dans la taxonomie CREDITHAB depuis octobre 2020.

Cash pooling

Pour rappel, le cash pooling est un service fourni par une banque de mise en commun de la trésorerie d’un groupe d’entités. Cet état M_CASHPLG nouvellement créé consiste à communiquer le notionnel lié à cette activité avec une ventilation Euro/Devises, et par type de clientèle financière ou non financière.

Comme les autres états monétaires, il sera remis mensuellement. Une discussion est en cours concernant l’assujettissement en fonction de seuils à définir qui seront réexaminés annuellement.

Informations complémentaires sur les titres

Une des modifications a vocation à compléter la ventilation des actions par type de participation. « Autres participations » vient s’ajouter aux catégories « actions cotées » et « actions non cotées » déjà disponibles sous SURFI dans l’état TITRE_PTF, au niveau des rubriques « titres à revenu variable » et « parts dans les entreprises liées » à la fois dans le tableau « actifs résidents » et « actifs non-résidents ».

Par ailleurs, il sera nécessaire de communiquer sur les titres émis et conservés par l’émetteur ou rachetés par ce dernier sur le marché secondaire. Cette modification concerne les états SITUATION France et M_SITMENS dans lesquels une ligne « Auto détention de titres à revenu fixe émis » sera ajouté à l’actif et ainsi qu’une ligne « Auto détention de titres à revenu variable émis » uniquement dans le dernier état cité, toujours à l’actif.

Dépôts et crédits des établissements de crédit vis-à-vis des banques centrales

L’état M_SITMENS est modifié pour ajouter une ligne « crédits aux banques centrales nationales » en données complémentaires à l’actif et une ligne « dépôts des banques centrales nationales » en données complémentaires au passif.

Intérêts courus non échus (ICNE)

De nouvelles lignes ont été créées pour identifier les ICNE sur les dépôts et crédit. Elles concernent à nouveau l’état M_SITMENS et la section « Données complémentaires » des tableaux actif et passif. Une ligne « créances rattachés sur les crédits » s’ajoute à l’actif et « dettes rattachées sur les dépôts » au passif.

Titrisation

Quelques changements indiquent une volonté d’assurer un suivi plus détaillé sur l’activité titrisation.
En effet, les états sur les opérations avec la clientèle et ceux dédiés aux pensions livrées sur titres font apparaître trois nouvelles colonnes afin de détailler les contreparties de titrisation : « Autres intermédiaires financiers », « Auxiliaires financiers » ainsi que « Institutions financières captives et prêteurs non conventionnels ». Il s’agit des états suivants : M_CLIENRE, M_CLIENR, M_PENLIVR, CLIENT_RE, CLIENT_NR, PENS_LIVR.

Dans les états M_CREANCE et CESSCRE, la ventilation des flux/encours par nature de créance et durée initiale devient systématique pour chaque sous-catégorie d’opération avec la clientèle impliquant un véhicule financier ou d’autres cessionnaires (IFM résidente, IFM zone euro hors France), y compris lorsque l’opération n’impacte pas le bilan.

En cas de sortie de bilan, cette ventilation permettra aussi de distinguer les opérations où l’établissement déclarant n’assure pas le recouvrement dans l’état M_CREANCE.

Cependant, la collecte des encours par pays des véhicules financiers dans l’état M_CESSCRE est supprimée.

Immobilier

Les actifs immobiliers (immeuble de bureau, logement, terrain…) faisant l’objet d’une détention directe doivent être comptabilisés dans une ligne « dont avoirs immobiliers ». Cela a été introduit dans la rubrique « valeurs immobilisées » à l’actif de l’état SITUATION France/ ZIEDOM/ ZIEOM. Une ventilation plus fine est en cours de discussion.

Ventilation des contreparties

La catégorie « Organisme de titrisation » remplace « FCC, FCT, SDT » (périmètre identique) et quatre nouvelles catégories sont créées.
À noter : cette ventilation est alignée avec le référentiel ANACREDIT comme le montre le mapping ci-dessous.

Conclusion

Compte tenu des nombreuses évolutions à la fois techniques (introduction du DPM, réorganisation des états, nouvelles lignes/colonnes…) et métiers (ventilation des actions, identification des avoirs immobiliers, nouvel état dédié à l’activité cash pooling…), la nouvelle taxonomie RUBA est un véritable défi pour les départements IT, les directions opérationnelles et les directions financières. Comme toujours sur ce type de chantier, la disponibilité des données et une exploitation efficace des informations constituent les clés de la réussite. Pour cela, l’étude d’impacts doit être réalisée au plus tôt afin de capitaliser au mieux sur le démarrage reporté en 2022.