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Les banques traditionnelles peuvent-elles faire face aux défis imposés par leurs concurrents digitaux ?

Kévin Martins
Consultant

Depuis plusieurs décennies, les banques et assurances traditionnelles, c’est-à-dire celles possédant des agences physiques, font face à un nouveau business model 100 % en ligne. Ces nouveaux acteurs s’appuient sur la dématérialisation pour attirer leur clientèle : toutes leurs offres, comme l’ouverture d’un compte, par exemple, sont disponibles et réalisables à distance : elles n’ont donc pas besoin de réseaux d’agences pour fonctionner. Les établissements traditionnels supportent un coût non négligeable pour le maintien opérationnel de leurs agences : entretien des locaux, frais de personnel, équipement en informatique…

Selon le cabinet Score Advisor, un réseau d’agences représente en moyenne 60 % des coûts d’une banque de détail et 15 % des agences ne seraient même plus rentables à cause de la baisse de fréquentation liée à la possibilité de faire ses opérations directement sur Internet.

Une attractivité indéniable du grand public pour les banques en ligne…

Entre janvier 2017 et janvier 2021, Boursorama est passée de 977 000 à 2,6 millions de clients, soit presque 3 fois plus de clients en l’espace de 4 ans. Il s’agit de la plus importante banque en ligne française. Le phénomène concerne aussi d’autres établissements : + 50 % chez Fortuneo avec 880 000 clients en 2021, + 114 % chez Hello Bank avec 608 000 clients en 2021… C’est donc l’ensemble des acteurs en ligne qui captent de plus en plus de clients avec, pour certaines comme Boursorama et Fortuneo, une hausse ininterrompue de la clientèle depuis 2017 !
La quasi-gratuité des opérations courantes et de la carte bancaire attire de plus en plus de personnes. D’autres avantages sont également à noter : 

  • La possibilité de faire toutes ses opérations courantes à distance 24 h / 24
  • Les horaires de contact du service client sont élargis (souvent du lundi au samedi après-midi)
  • La présence d’offres et de primes de bienvenue
  • Des taux pour les crédits immobiliers souvent plus attractifs que ceux des banques classiques et qui peuvent être proposés sans frais de dossier et sans indemnité de remboursement anticipé, à condition que le prêt ne soit pas racheté par la concurrence
  • Des livrets bancaires à taux bonifiés (généralement, sur quelques mois)
  • Des frais avantageux pour les ordres de bourse, sans droits de garde ni frais d’inactivité

… mais aussi l’assurance-vie nouvelle génération

Le placement préféré des Français vient de passer, cette année, la barre des 1 800 milliards d’euros d’encours. Ce marché est détenu à 58 % par les banques classiques grâce à la relation physique entre le banquier et son client. Pourtant, la qualité des contrats est souvent bien inférieure à celle de leurs homologues digitaux.

En effet, les banques ou courtiers en ligne proposent des contrats avec des fonds euros affichant de meilleurs taux de rendement – ce qui n’est pas anodin quand on sait que 75 % des encours sont placés sur ce support à capital garanti -, des frais contenus (absence de frais d’entrée, de frais de versement, de frais d’arbitrage, et des frais gestions les plus bas du marché) ainsi qu’une large palette d’unité de compte (UC).

D’ailleurs, ces informations sont beaucoup plus faciles d’accès sur des contrats en ligne que sur les sites des assureurs traditionnels, et l’on comprend aisément pourquoi : afficher une rémunération du fonds euros inférieure au marché (en moyenne de 1,08 % en 2020, selon le site Good Value for Money) en y ajoutant le détail des frais du contrat et un choix limité d’UC n’est pas vendeur. 

Voici deux exemples sur des contrats distribués par de grandes banques, respectivement Crédit Agricole et BNP Paribas :

  • Prédissime 9 série 2 (assureur : Prédica) : performance du fonds euros 2020 : 0,65 % / Frais sur versement : 3 % / Frais d’arbitrage : 0,5 % / Frais de gestion sur UC : 0,85 % et 20 UC disponibles
  • Multiplacements 2 (assureur : Cardif) : performance du fonds euros 2020 : 1 % / Frais sur versement : 2,75 % / Frais d’arbitrage : jusqu’à 1 % / Frais de gestion sur UC : 0,96 % et environ 60 UC disponibles

Comparons maintenant avec deux contrats d’un courtier en assurance en ligne, Linxea :

  • Linxea Avenir (assureur : Suravenir) : performance des deux fonds euros 2020 : 1,3 % et 2 % / Frais sur versement : 0 % / Frais d’arbitrage : 0 % / Frais de gestion sur UC : 0,6 % et 600 UC disponibles
  • Linxea Spirit 2 (assureur : Spirica) : performance du fonds euros 2020 : 1,65 % / Frais sur versement : 0 % / Frais d’arbitrage : 0 % / Frais de gestion sur UC : 0,5 % et environ 650 UC disponibles

Cette comparaison montre que le courtier propose des fonds euros qui peuvent rapporter jusqu’à 3 fois plus qu’un contrat distribué en banque classique, et ceci avec des frais très contenus et un large choix d’UC. Ainsi, à terme et à conditions inchangées, pour un même montant investi sur un support identique, le montant du contrat sera plus élevé chez ce courtier en ligne.

Dans ces conditions, les établissements en ligne seront-ils nécessairement les grands vainqueurs de la bataille entre ancienne et nouvelle école ?  

Les acteurs digitaux entre limites et difficultés

Tout d’abord, ils s’adressent à une clientèle spécifique : les personnes autonomes et capables de tout gérer en ligne en mode self care. Il faut aussi pouvoir se passer du contact d’un conseiller en présentiel car toute la relation a lieu à distance (par téléphone, mail et chat). En outre, certaines banques en ligne exigent un revenu ou un encours minimum pour disposer d’une carte bancaire. 

De même, les dépôts en liquide en agence sont interdits, sauf pour HelloBank et Monabanq qui les acceptent dans les agences BNP Paribas et Crédit Mutuel respectivement. Par ailleurs, tous les produits d’épargne ne sont pas disponibles ; par exemple, Fortuneo, BForBank et ING ne proposent pas de PEL. Dès lors, on constate que l’ensemble de la population ne peut être captée par les acteurs en ligne.

Une autre problématique fondamentale porte sur la rentabilité. Boursorama, pourtant lancée il y a 17 ans, est à peine rentable. Crédit Agricole vient de recapitaliser BforBank pour la troisième fois à hauteur de 125 millions d’euros, et Orange Bank enregistre 600 millions d’euros de pertes depuis son lancement il y a seulement 3 ans.

Ceci résulte d’une stratégie commerciale agressive reposant sur des tarifs très bas couplée à des offres spéciales et primes de bienvenue. L’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) estime d’ailleurs que cette politique peut représenter jusqu’à 24% de leurs revenus. 

En outre, seuls 7 % des clients choisissent leur banque en ligne comme banque principale. Ce phénomène de multi-bancarisation ne contribue pas à dégager de la rentabilité.

Seule Fortuneo serait rentable aujourd’hui. La plupart de ses clients y ont domicilié leur salaire, réalisé des placements (elle est la première en termes d’assurance-vie en ligne avec 25 à 30 % du marché) et souscrit un crédit. Selon La Tribune, un client lui rapporte en moyenne 200 € de produit net bancaire en 2019, soit 5 fois plus que ses concurrents.

Les banques en ligne doivent aussi tout mettre en œuvre dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. ING a ainsi été épinglée par l’ACPR qui estime que son dispositif de lutte anti-blanchiment en France est « globalement défaillant ». Pour faire simple, toute la chaîne de contrôle clients, de suivi, de détection des opérations et clients nécessitant une vigilance particulière et des signalements à Tracfin est à revoir. L’amende est de 3 millions d’euros et cela ne va pas arranger la situation économique déjà compliquée d’ING qui n’est pas parvenue à équiper sa clientèle en produits rémunérateurs. En effet, ING envisage de céder son activité de banque de détail en France.

Malgré ces limites, les banques en ligne sont bien présentes sur le marché et continuent de capter de la clientèle.

Vers une “remontada” des banques traditionnelles ?

La plupart des banques en ligne sont adossées aux banques classiques :

  • Boursorama appartient à la Société Générale
  • Hello Bank à BNP Paribas
  • Fortuneo au Crédit Mutuel Arkéa
  • BforBank au Crédit Agricole…

Ainsi, les banques classiques apportent un soutien économique aux banques en ligne, ce qui leur permet de proposer des offres attractives. Les clients des banques en ligne sont en quelque sorte « affiliés » aux banques classiques.
Pour rester dans la course, l’innovation numérique est primordiale pour apporter en continu des nouveautés aux clients. Comme le souligne le responsable de Meilleurebanque.com, « L’arrivée sur le marché des banques en ligne puis des néo-banques a incité les réseaux à investir dans leur appli, la pression se fait particulièrement sentir depuis 2015 ». Il est possible aujourd’hui de consulter ses comptes, d’effectuer un virement, d’éditer un RIB, de gérer ses dépenses et son budget… depuis son espace personnel. 

Cette capacité à innover doit être maintenue pour fidéliser la clientèle et la dissuader de partir à la concurrence. L’écart entre ces deux modèles bancaires sur le plan digital doit être le plus faible possible. Ceci est d’autant plus vrai quand on sait que 50 % des clients des banques traditionnelles consultent désormais l’application ou le site web de leur banque.

Par ailleurs, la relation conseiller-agence doit être repensée. Les Français restent encore fortement attachés à l’échange en présentiel, surtout dans les moments-clés de leur vie. Ils considèrent aujourd’hui que les conseillers ne délivrent pas suffisamment de valeur. Ainsi, dans une étude menée en 2019, le cabinet Deloitte démontre que 52 % des Français souhaiteraient demander à leur banque de leur recommander un avocat, 47% un notaire, 48 % de faire expertiser un logement. C’est bien dans la refonte du duo agence-conseiller que les banques pourront mieux fidéliser leurs clients. 

L’expérience client est devenue également incontournable. En 2020, les sujets qui impactaient le plus l’IRC (Indice de Recommandation Client) étaient :

  • La facilité à obtenir des réponses immédiates
  • L’accompagnement client
  • Des produits et tarifs simples à comprendre.

Les banques doivent donc concentrer leurs efforts sur la réactivité et la qualité du conseil.

En alliant le modèle traditionnel et le modèle digital, il devrait être possible de profiter des points positifs de chacun. Les acteurs 100 % en ligne offrent des tarifs attractifs et un quotidien simplifié. Ils pourraient apporter une expertise de premier niveau sur certains sujets. De leur côté, les banques classiques pourraient proposer une des conseils à haute valeur ajoutée sur des besoins plus spécifiques et réaliser des opérations plus complexes de type patrimonial nécessitant la rencontre entre client et conseiller en agence. L’efficience des acteurs numériques et le sur-mesure augmenté en agence : c’est peut-être ainsi que se dessine le futur paysage bancaire.