Category Archives: Fintech

Finance durable

La finance durable : l’avenir des investissements français

Kevin Martins
Consultant

Les Français de plus en plus tournés vers les placements durables

On assiste aujourd’hui à une prise de conscience croissante des enjeux environnementaux et sociétaux. La problématique du réchauffement climatique est devenue centrale dans le discours médiatique. Dans cette perspective, les investisseurs sont de plus en plus sensibles à l’impact environnemental de leur épargne et souhaitent l’orienter vers des secteurs d’activités moins polluants, plus durables.

Les statistiques le confirment : selon Novethic[1], le marché des fonds durables en France représentait 896 milliards d’euros d’encours au 31 décembre 2021, soit + 94 % sur un an.

Une étude OpinionWay d’avril 2023[2] indique que 75 % des Français considèrent l’impact des placements sur l’environnement comme un sujet important et plus d’un Français sur deux déclare prendre en compte la problématique du développement durable dans l’orientation de son épargne. On constate un écart générationnel en la matière avec une plus forte proportion des moins de 35 à considérer les placements durables comme pertinents (33 % versus 25 % dans l’ensemble de la population).

L’offre du marché répond à cette prise de conscience

Pour faire face à ces nouveaux enjeux, les acteurs des marchés financiers intègrent de nouveaux fonds dits « durables » dans leurs enveloppes d’investissement. Il s’agit même d’une nouvelle obligation réglementaire. Ainsi, depuis le 1er janvier 2022, le Code des Assurances impose aux assureurs de proposer – pour chaque produit – au moins un support :

  • labellisé « ISR » (Investissement Socialement Responsable)
  • labellisé « Greenfin »
  • solidaire, labellisé « Finansol » par exemple

Les fonds ISR doivent prendre en compte des critères extra-financiers, dits « ESG » (Environnementaux, Sociaux et Gouvernance) en plus des critères financiers dans leurs choix d’investissement :

  • Le critère environnemental mesure l’impact de l’entreprise sur l’environnement (par exemple : les émissions de CO², le recyclage des déchets, …)
  • Le critère social montre la relation de l’entreprise vis-à-vis de ses parties prenantes (par exemple : la qualité du dialogue social, le respect des droits humains, …)
  • Le critère gouvernance porte sur la façon dont l’entreprise est dirigée, administrée et contrôlée (par exemple : la lutte contre la corruption, la transparence de la rémunération des dirigeants, …)

Le label Greenfin est attribué aux fonds investissant dans l’économie verte, c’est-à-dire qui participent à la transition énergétique et écologique. Il exclut les entreprises opérant dans le secteur nucléaire et les énergies fossiles. Ainsi, il est plus exigeant que le label ISR sur les critères environnementaux.

Quant aux fonds dédiés à l’économie sociale et solidaire (ESS), ils peuvent obtenir le label Finansol qui cible des activités à forte utilité sociale et / ou environnementale. Les secteurs d’activités financés sont principalement :

  • L’emploi et la création d’entreprise
  • Le logement social
  • Les activités écologiques
  • L’entreprenariat dans les pays en développement

Les fonds labellisés ISR sont les plus représentés, avec actuellement près de 1200 fonds ISR contre environ 200 fonds Finansol et une centaine de fonds Greenfin.

À ces labels s’ajoute une classification des fonds en matière d’investissement durable. Depuis le 10 mars 2021, le règlement européen SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) impose une classification des fonds en trois articles :

  • Article 6 : fonds sans objectifs de durabilité
  • Article 8 : fonds avec objectifs de durabilité qui intègrent les critères ESG dans leur gestion et promeuvent des caractéristiques environnementales et (ou) sociales mais qui n’ont pas d’objectif d’investissement durable.
  • Article 9 : fonds avec un objectif d’investissement durable. Ils sont soumis à des obligations d’explication méthodologique, d’évaluation et d’amélioration de critères de transparence. C’est l’article le plus difficile à obtenir. Ces fonds sont également appelés « super verts » ou « dark green ».

Ces fonds durables se multiplient dans chaque enveloppe d’investissement : PEA, assurance-vie, PER, PEE, CTO, etc. répondant ainsi aux nouveaux besoins des investisseurs.

Pour cela, l’épargnant peut donc s’intéresser aux labels et à la classification SFDR qui répond à ses convictions. Il peut même combiner plusieurs labels en plus de l’article 9 pour obtenir une sélection de fonds renforcée en matière d’investissement durable. Il disposera ainsi d’une allocation patrimoniale responsable sur mesure puisque reposant sur ses propres valeurs.

Pour les personnes qui n’ont pas le temps et / ou les connaissances pour identifier des fonds durables, des gestions pilotées 100 % éco-responsables ont été créées par les acteurs financiers.

Ainsi, Yomoni et Nalo, deux Fintechs lancées en 2015 et 2017, proposent d’investir dans des assurances-vie responsables. Celles-ci sont en gestion pilotée, c’est-à-dire que la gestion de l’épargne est confiée à un professionnel qui sélectionne lui-même les fonds responsables en fonction du profil investisseur de l’épargnant. La société Goodvest, Fintech créée en 2020, présente un PER en gestion pilotée investissant dans des fonds respectant des critères environnementaux et éthiques stricts.

Une labellisation pas toujours si verte

Pour ceux qui souhaitent investir eux-mêmes dans des fonds responsables, il apparaît nécessaire d’examiner la composition des fonds dans les reportings pour vérifier si les sociétés présentes sont bien en accord avec les valeurs environnementales et sociétales de l’investisseur.

En effet, pour l’attribution du label ISR, il n’existe pas de critères standards qui définissent les activités durables d’une entreprise. Dès lors, la définition de la durabilité incombe aux gestionnaires des fonds. Ce label est ainsi souvent critiqué pour son manque d’homogénéité, sa souplesse dans les critères d’éligibilité (que l’on constate au vu du nombre de fonds labellisés ISR) et son déficit de transparence quant à la performance écologique et sociale des fonds labellisés.

Le label Greenfin est plus exigeant que le label ISR puisqu’il exclut les entreprises du secteur nucléaire et des énergies fossiles mais il ne garantit pas que le fonds investit à 100 % dans des éco-activités. En effet, un fonds peut très bien inclure une poche composée d’entreprises ne réalisant aucun ou très peu de chiffre d’affaires dans des éco-activités et être labellisé Greenfin.

Le label Finansol semble être le choix le plus restrictif puisqu’il offre une garantie de l’affectation de l’épargne au financement de l’économie sociale et solidaire et une transparence sur la composition du produit.

Quant à l’article 9, un consortium de journalistes dont Follow the Money et Le Monde a montré en 2022 dans une enquête intitulée The Great Green Investment Investigation que près de la moitié des fonds classés en article 9 investissaient dans des secteurs d’activités liés aux énergies fossiles et à l’aviation. En effet, la définition d’un investissement durable reste relativement floue à ce stade. Chaque gérant peut avoir sa propre interprétation et des fonds peuvent être classés en article 8 ou en article 9.

La Commission Européenne a d’ailleurs été sollicitée pour apporter des précisions sur les critères de durabilité permettant de définir un fonds article 9, mais elle a indiqué qu’elle n’apporterait pas de réponse à cette question et laisse ainsi au secteur financier la possibilité de choisir ce qu’il considère comme un actif durable.

Performance et durabilité apparaissent comme compatibles

Un fonds durable opère un filtre dans sa sélection de sociétés pour répondre à ses objectifs de durabilité, contrairement à un fonds classique qui a plus de liberté dans le choix de ses sociétés. Cette pratique entraîne une moindre diversification du portefeuille du fonds, et mathématiquement une dégradation théorique du couple rendement / risque.

Or, si l’on prend comme exemple l’indice MSCI World (indice qui représente le marché des actions internationales regroupant 23 pays développés avec environ 1500 sociétés), sa performance est plus faible que celle de son homologue ISR (qui se compose d’environ 400 sociétés) sur de longues périodes.

Entre 2009 et 2022, l’indice « MSCI World ISR » affiche une performance moyenne annualisée légèrement supérieure à celle de l’indice « MSCI World » avec une moindre volatilité (cf. graphique ci-dessous).

Le rapport rendement / risque est donc en faveur du « MSCI World ISR ».

Plusieurs facteurs expliqueraient cette meilleure performance des fonds durables :

  • Les entreprises éthiques et respectueuses des considérations ESG auraient une meilleure gestion des risques, des activités plus pérennes et des relations de qualité avec leurs parties prenantes
  • Ils détiendraient davantage de valeurs « value », c’est-à-dire sous-valorisées et offrant donc un potentiel de hausse plus intéressant
  • La présence d’écarts sectoriels (par exemple, l’indice ISR est sous-pondéré dans le secteur énergétique – avec l’exclusion des sociétés liées aux énergies fossiles). Lorsque ce dernier sous-performe les autres secteurs, l’indice ISR a tendance à surperformer son indice classique.

Investissement et considérations environnementales et sociétales ne sont donc pas nécessairement antinomiques. Néanmoins, selon la formule consacrée, les performances passées ne préjugent pas des performances futures et l’avenir nous dira si cette tendance se confirme.

En outre, les épargnants qui possèdent des fonds durables sont souvent prêts à accepter une moindre performance au profit d’un investissement correspondant à leurs convictions environnementales et sociétales. La recherche de la performance immédiate ne constitue pas la motivation première de ce type d’investisseur qui privilégie les sociétés de qualité et la croissance à long terme.

Dans tous les cas, l’investissement durable devrait connaître un regain d’intérêt dans l’allocation patrimoniale des Français en raison du rajeunissement des investisseurs. Un renforcement des critères d’attribution des labels et une clarification de la classification SFDR apparaissent dès lors comme nécessaires pour éviter tout soupçon d’écoblanchiment et poursuivre le processus d’acculturation à la durabilité.

[1] Fondée en 2001, Novethic est une filiale du Groupe Caisse des Dépôts. À la croisée des stratégies de finance durable et des pratiques de responsabilité sociétale des entreprises, Novethic déploie ses expertises – média, recherche, audit et formation – pour permettre aux professionnels de relever les défis de la transformation durable. Source : https://www.novethic.fr/

[2]https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/publications/rapports-etudes-et-analyses/les-francais-et-les-placements-responsables-opinionway-pour-lamf-juillet-2023

Néobanques

Les néo-banques au pays des merveilles

Gabrielle Jullian-Legros
Consultante

Voilà une dizaine d’années que les premières néo-banques sont apparues dans le paysage financier : les résultats sont-ils au rendez-vous et quelles sont les dernières tendances ?

Avant-propos : Néo-banque ou banque en ligne ?

Au commencement, les néo-banques étaient des établissements de paiement, uniquement. C’est-à-dire qu’elles ne possédaient pas de licence bancaire, et n’étaient donc techniquement pas des “banques”. Elles ne pouvaient pas accorder de crédits. Aujourd’hui, nombre d’entre elles disposent d’une licence bancaire et n’usurpent plus leur nom. Les banques en ligne sont adossées à des banques traditionnelles, comme Boursorama à la Société Générale ou Fortuneo au Crédit Mutuel, et ont initialement commercialisé leurs produits sur le web, même si elles disposent maintenant d’applications mobiles. Les néo-banques sont généralement des établissements indépendants qui privilégient les applications mobiles comme support de commercialisation. Cependant, c’est un paysage mouvant dont les lignes ne sont pas toujours nettes. Par exemple, Revolut, quintessence de la néo-banque, se définit actuellement dans ses campagnes publicitaires comme une banque en ligne. Et Lydia, application emblématique du transfert d’argent entre amis, a dévoilé son ambition d’entrer au club des néo-banques.

***

Dans le livre de Lewis Caroll, la jeune Alice suit un lapin blanc au creux d’un terrier et se retrouve piégée dans une salle cerclée de portes closes. Elle finira par en sortir, après bien des mésaventures, et avoir testé toutes les portes.

Dans le monde réel, toutes les néo-banques ne connaissent pas d’issue heureuse, et nombreuses furent celles à périr au fond du terrier. RIP : Pumpkin, Morning, C-zam, Ferratum, Ditto Bank, Boon, Vybe, Xaalys, Paykrom et bien d’autres… La plupart des survivantes cherche encore la clé magique du Pays des Merveilles.

Le lapin blanc prend la forme de deux Directives européennes sur les Services de Paiement, adoptées en 2007 et 2015. Elles visent à garantir un accès équitable et ouvert aux marchés des paiements et à renforcer la protection des consommateurs. Les Fintechs y voient très vite l’opportunité de révolutionner la banque. Leurs services 100 % sur mobile seront simples, innovants et axés sur l’expérience utilisateur. Elles y croient, les investisseurs aussi : on rêve de disrupter à la Uber.

Au départ, l’appât repose sur la délicate stratégie du freemium. Si les fonctionnalités gratuites sont trop généreuses, le client ne franchit guère le pas de la version payante. A contrario, si elles ne sont pas assez attrayantes, le client n’est pas au rendez-vous du tout.

Les premières années sont euphoriques. Les licornes, N26 (créée en 2013 à Berlin) et Revolut (fondée en 2015 à Londres), captent des millions d’utilisateurs dans le monde. Elles séduisent par leur ergonomie, la clarté des parcours, la rapidité de souscription, le virement immédiat (peu répandu à l’époque) et le paiement en devises sans frais à l’étranger. Des dizaines de jeunes pousses s’engouffrent sur leurs traces. La croissance est alors LE critère de réussite… mais l’essai est dur à transformer. Le contexte économique se dégrade et les investisseurs finissent par ne plus suivre aveuglément ces banques qui perdent de l’argent.

La recette miracle du “free to paid” étant si périlleuse à maîtriser, le modèle dominant devient alors celui de l’abonnement. Dans ces conditions, comment convaincre le consommateur de dénouer les cordons de sa bourse en dehors (et donc en plus) de sa banque traditionnelle, voire tout bonnement de la quitter ? Voici quelques approches ciblées qui tentent de tirer leur épingle du jeu.

Le compte pour les mineurs

Concept : La confiance n’exclut pas le contrôle.

Si le consommateur peut être réticent à l’idée d’engager des dépenses supplémentaires pour lui-même, il l’est souvent moins lorsqu’il s’agit de sa progéniture. D’autant plus si cela lui permet d’avoir un œil vigilant sur la façon dont l’argent de poche est utilisé.

Arguments de vente :

La personnalisation du moyen de paiement pour séduire les enfants :

  • Chez Money Walkie, pas de carte mais un badge “stylé”, en forme de panda, de glace ou de fusée…
  • Chez Pixpay, des visuels tendance en édition limitée : par exemple, la carte « Spiderman : Across the universe » ou « One Piece »

La surveillance et la pédagogie pour séduire les parents :

  • L’adulte peut contrôler les dépenses effectuées depuis l’application
  • Des tutoriels permettent d’amorcer l’éducation financière des jeunes

Tarifs de base :

  • Pixpay : 2,99€ / mois
  • Kard : 2,99€ / mois
  • Money Walkie : 1,90€ / mois

Le compte pour les professionnels

Concept : C’est un jeu d’enfant.

Une autre tactique consiste à attaquer un marché où le consommateur est le plus souvent amené à disposer d’un compte pro (en fonction de son statut). Les indépendants sont le cœur de cette cible, mais les TPE, PME et associations sont également visées.

Arguments de vente :

  • Aide à la création de l’entreprise
  • Facilitation de la facturation et de la comptabilité

Tarifs de base :

  • Qonto à partir de 9€ HT / mois
  • Shine : à partir de 7,90 HT / mois
  • Blank : 6€ HT / mois

Le compte pour les agents du changement

Concept : Votre argent peut sauver le monde.

Une tendance émergente au sein des néo-banques est celle du compte dit “à impact”. Cela consiste à aligner son choix d’établissement bancaire sur ses valeurs, pour donner du sens à ses dépenses.

  • Helios, OnlyOne, GreenGot : pour les éco-responsables
  • Penny Pet : pour les amis des animaux
  • Welcome Place : pour l’insertion des migrants

Arguments de vente :

  • Mesurer son impact : par exemple, calculer l’empreinte carbone de son argent ou comptabiliser le nombre de kilos de déchets ramassés grâce à celui-ci
  • Sélectionner les projets qui seront financés par les frais d’interchange
  • Participer à des fonds de solidarité
  • Financer une association à chaque ouverture de compte
  • Bénéficier de cashback vers des enseignes partenaires engagées

Tarifs de base :

  • Helios, OnlyOne, GreenGot : 6€ / mois
  • PennyPet : 9€ / mois
  • Welcome Place : entreprise en création

Aujourd’hui, le bilan des néo-banques est particulièrement maussade. Seules deux d’entre elles ont atteint le seuil de rentabilité : la britannique Revolut (freemium) et la néerlandaise Bunq (abonnement).

Les autres sont encore coincées au fond du terrier. D’où l’importance de bien choisir ses idoles : Uber fonctionne, depuis sa création, sur le modèle d’une croissance effrénée, renflouée par des levées de fonds incessantes… mais jamais rentable. D’autant que la route est semée d’embûches. En effet, qui dit “banques” dit “réglementation bancaire”, et plus elles prennent la lumière, plus l’œil du régulateur est à l’affût. N26 a subi une amende de 4,25 millions d’euros en 2021 pour ses insuffisances en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Ces établissements, qui ont une dizaine d’années tout au plus, se doivent d’apprendre et de maîtriser très vite les métiers de la Compliance, sous peine d’être prestement broyés par le poids règlementaire. Il sera intéressant d’observer, dans les années à venir, si les initiatives de ce secteur finiront – enfin – par porter des fruits merveilleux.

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Comment les institutions financières luttent contre le commerce illégal d’espèces sauvages

Anna Maximova
Consultante

Spontanément, le blanchiment de capitaux évoque des crimes comme la contrefaçon, le trafic de drogue, d’êtres humains ou d’armes. Pourtant, la criminalité environnementale se classe au quatrième rang des crimes plus importants au monde. Le commerce illégal d’espèces sauvages est estimé à 20 milliards de dollars par an d’après le rapport UNEP-INTERPOL The Rise of Environmental Crime (2016).

Les autres formes de criminalité environnementale comprennent l’exploitation forestière illégale, la pêche non déclarée et non réglementée, l’extraction et le commerce de minéraux, l’exploitation minière et le déversement de déchets toxiques. Les institutions financières jouent un rôle crucial dans la lutte contre cette catastrophe écologique, notamment par le biais de leurs activités de KYC (“Know Your Customer”).

Qu’est-ce que le commerce illégal d’espèces sauvages ?

Il n’existe pas de définition unique, mais on parle généralement de commerce d’espèces sauvages contraire à la loi. Cela inclut le trafic de spécimens vivants ou morts et même de produits dérivés issus d’espèces protégées. Ces derniers sont souvent utilisés à des fins médicinales traditionnelles, pharmaceutiques ou ornementales : ivoire des défenses d’éléphant, cornes de rhinocéros, écailles de pangolins… Le trafic illégal d’espèces sauvages constitue une menace majeure pour la biodiversité mondiale. En outre, il compromet la survie de milliers d’espèces au sein de la flore, de la faune et des champignons terrestres et marins. Il a également un impact négatif sur les populations d’espèces sauvages, ce qui perturbe le bon fonctionnement des écosystèmes et entraîne des dommages dans les cycles naturels.

Le trafic d’espèces sauvages fait partie intégrante du crime organisé. Ces opérations de plus en plus globalisées relèvent désormais de la définition du crime organisé transnational. La Convention des Nations Unies définit un groupe criminel organisé comme : “structuré de trois personnes ou plus, existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre un ou plusieurs crimes ou délits graves établis conformément à la présente Convention afin d’obtenir, directement ou indirectement, un avantage financier ou autre avantage matériel”. Le trafic d’espèces sauvages représente une menace pour la biodiversité, elle alimente la corruption et peut avoir un impact négatif sur la santé publique et l’économie.

Selon le rapport du GAFI sur le blanchiment d’argent et le commerce illégal d’espèces sauvages, plus de 37 000 espèces de plantes et d’animaux inscrites sur la liste de la CITES[1], 97 % des espèces peuvent être utilisées à des fins commerciales (produits cosmétiques, pharmacie, animaux de compagnie, etc.) de manière légale. Le commerce légal garantit que les espèces font l’objet de contrôles et d’inspections spécifiques, tels que les contrôles vétérinaires, qui garantissent que les espèces commercialisées respectent les réglementations et la sécurité sanitaire afin d’éviter la propagation de maladies zoonotiques potentielles.

Avec le commerce illégal, ces contrôles sont inexistants. En outre, le commerce illégal tend à exploiter les espèces et les ressources de manière non durable, ce qui peut menacer leur extinction (par exemple, l’éléphant d’Afrique) ou conduire à la destruction de ressources naturelles vitales telles que la qualité de l’air, l’approvisionnement en eau, la sécurité alimentaire, etc. Par exemple, dans le cadre de l’extraction illégale d’or en Colombie, les mineurs artisanaux déversent plus de 30 tonnes de mercure chaque année dans les rivières et les lacs de la région amazonienne, ce qui entraîne des dommages neurologiques chez les poissons et les humains vivant jusqu’à 400 km aux alentours d’après le rapport UNEP-INTERPOL The Rise of Environmental Crime (2016).

Le KYC, rempart contre le commerce illégal d’espèces sauvages

Pour blanchir les produits de leurs activités, les criminels abusent souvent du secteur financier. Comment le KYC peut-il aider à lutter contre le trafic illégal d’espèces sauvages ?

D’après le groupe Lexis Nexis, le KYC se définit comme “la procédure mise en œuvre par les entreprises et les banques pour vérifier l’identité de leurs clients ou d’une personne morale conformément aux réglementations de customer due diligence en vigueur”.

En effet, il est primordial de faire coopérer les organisations publiques et privées pour collecter les informations financières qui pourraient aider à détecter le blanchiment de capitaux. Voici les méthodes courantes utilisées par les criminels :

  • L’utilisation de sociétés-écrans et fictives : souvent situées dans des juridictions offshore, elles n’ont pas de présence physique autre qu’une boîte postale et possèdent peu ou pas de valeur économique
  • L’achat d’actifs et de biens de grande valeur, par exemple des biens immobiliers, des véhicules de luxe, etc.
  • Les paiements effectués via les réseaux sociaux et les plateformes mobiles.

L’analyse attentive du dossier de paiement, les informations concernant l’activité commerciale de l’entreprise et ses bénéficiaires effectifs, l’examen des informations d’importation / exportation telles que la facture et les encaissements, les informations fiscales et les déclarations douanières permettent d’évaluer l’implication d’un individu ou d’une entité dans le blanchiment d’argent. Les clients suspects peuvent être des entreprises (par exemple, une animalerie exotique, une société de safari, un laboratoire utilisant des plantes rares…) ou des personnes physiques comme un éleveur travaillant dans un zoo privé, un collectionneur…

Par ailleurs, les indicateurs de risque sur les transactions et les comportements doivent être analysés pour repérer les signaux d’alarme. Seul un faisceau d’indices permet de tirer une conclusion définitive. Parmi les transactions et comportements suspects, il existe :

  • Les dépôts et retraits multiples en espèces
  • Les transactions utilisant des noms d’ingrédients ou de produits faisant référence aux espèces listées par le CITES
  • Les transactions comportant des divergences dans la description ou la valeur entre les documents d’expédition et les marchandises expédiées
  • Les transactions entre des animaleries / éleveurs agréés et des trafiquants connus d’espèces sauvages
  • Les transactions liées au commerce de l’or à partir de comptes commerciaux, une pratique de dissimulation usuelle pour les paiements liés au transport d’espèces sauvages
  • Les références de transaction utilisant des noms de spécimens ou des tournures opaques
  • Des prêts incohérents entre sociétés de négoce ou d’import / export dans des pays favorisant la navigation intérieure ou les zones de transit.
  • Le transport d’animaux sauvages légaux avec des certificats CITES suspects

L’importance de la collaboration entre secteur public et secteur privé

Plusieurs organisations internationales luttent contre le commerce illégal d’espèces sauvages :

  • Le consortium interne de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages (ICCWC)
  • La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES)
  • L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC)
  • L’équipe INTERPOL de lutte contre la fraude liée aux espèces sauvages
  • Le Fonds mondial pour la nature
  • Unis pour la faune

Cependant, empêcher le commerce illégal d’espèces sauvages ne consiste pas seulement à mettre en place de nouvelles lois et réglementations. En effet, il existe de nombreuses informations que les entités du secteur privé peuvent utiliser pour détecter les flux financiers illicites. Les institutions financières sont souvent utilisées pour déplacer et dissimuler les capitaux frauduleux. En plus des banques et des établissements de paiement, certaines institutions non financières comme les marchands de biens, les maisons de vente aux enchères, les antiquaires, etc. peuvent servir aux trafiquants d’espèces sauvages à leur insu.

Cité dans Le Monde du 07/04/2023, Frans Timmermans, le vice-président de la Commission européenne, alerte : « Le trafic d’espèces sauvages relève de la grande criminalité organisée et constitue une menace directe et croissante pour la biodiversité, la sécurité mondiale et l’Etat de droit ». C’est pourquoi la Commission européenne a adopté un plan d’action révisé s’étalant jusqu’en 2027. Dans cette perspective, la collaboration entre le secteur public et le secteur privé joue un rôle crucial. Elle doit réunir des experts financiers et environnementaux pour permettre le partage des connaissances et des bonnes pratiques. Le renforcement de la collecte d’informations financières et l’amélioration de la qualité de l’analyse des données contribuent à l’identification des flux financiers frauduleux, conférant aux institutions financières un rôle essentiel dans la mise en conformité avec cette nouvelle réglementation.

[1] La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, dite Convention de Washington et connue sous son acronyme anglais CITES, est en vigueur depuis le 1er juillet 1975. Elle réglemente aujourd’hui le passage en frontières de plus de 38 000 espèces animales et végétales (source : www.ecologie.gouv.fr)

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Métavers : quelle place pour les institutions financières ?

Emanuela Azouzi-Popa
Consultante
Florence Baldo
Ingénieure Conseil

Le 28 octobre 2021, Mark Zuckerberg a annoncé que Facebook changeait de nom pour devenir « Meta », en référence au métavers. Ce néologisme, décalqué de l’anglais metaverse, provient selon David Ambrosino, Président du Conseil Supérieur du Notariat, de la contraction du préfixe grec meta, qui signifie « au-delà de », et de l’anglais universe. C’est donc un monde au-delà du réel, un monde virtuel dans lequel la réalité physique et la réalité virtuelle augmentée ont été fusionnées. Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron a également insisté sur l’urgence de la création d’un métavers européen. Quelle réalité se cache derrière ces nouvelles initiatives ? Peut-on déjà en estimer les impacts ? Comment le métavers peut-il influencer nos modes de vie ?

S’il est trop tôt pour le dire, nous vous proposons un premier décryptage de ce phénomène révolutionnaire. Origines, applications, intérêts financiers… Demain, vivrons-nous tous des vies parallèles dans le métavers ?

Un concept plus ancien qu’on pourrait le penser

Le métavers peut se définir comme un monde virtuel en trois dimensions dans lequel il est possible de se réunir pour interagir, étudier, jouer, faire des achats et même travailler. Considéré par certains experts comme la prochaine évolution majeure d’Internet, il s’inscrit pourtant dans un mouvement issu des années 1990. En effet, l’écrivain Neal Stephenson a décrit pour la première fois dans son roman Snow Crash (publié en 1992 et traduit en français sous le nom Le Samouraï virtuel) un monde futuriste interfacé avec le monde réel.

Par la suite, de nombreuses entreprises se sont inspirées de cette idée pour créer des communautés en ligne. Second Life, lancé en 2003, permet à ses utilisateurs d’incarner des personnages dans un monde en 3D créé par les résidents eux-mêmes, un peu comme le jeu Sims. Présentés sous forme d’avatars réalistes, les résidents assistent notamment à des concerts en live et discutent comme dans un tchat.

En 2017, le célèbre jeu vidéo Fortnite révolutionne le marché de la réalité virtuelle.

L’année 2021 marque un tournant décisif dans le développement du métavers : avec 10 milliards de dollars d’investissement annoncés par Mark Zuckerberg, le recrutement de 10 000 profils hautement qualifiés et le lancement d’un nouveau logo ressemblant au signe mathématique de l’infini, il s’agit d’une disruption inédite dans le secteur mondial de la technologie.

Comment se présente le métavers ?

Le métavers est un environnement virtuel et immersif en trois dimensions. Pour y accéder, il suffit d’un ordinateur personnel, d’une connexion internet stable et d’un casque de réalité virtuelle.

On peut y pratiquer les mêmes activités que dans la vie réelle ou presque : assister à un événement sportif, participer à des réunions de travail avec des collègues à l’autre bout du monde, acheter des articles dans des rayons en 3D et même investir dans l’immobilier. Adidas a prévu d’y commercialiser ses célèbres baskets, et de nombreuses stars comme le rapper Drake ont acquis des terrains et fait monter les prix des parcelles situées à proximité.

Avec le rachat d’Oculus VR pour maîtriser ses propres périphériques de réalité virtuelle et la création de workrooms (en français : salles de travail), une alternative à la visioconférence, Meta entend faire oublier le modèle économique du réseau social qui repose sur la publicité ciblée. Le groupe cherche également à présenter son nouvel univers comme une plate-forme d’apprentissage d’une ampleur inédite, un peu comme un e-learning géant.

Quels sont les enjeux financiers du métavers ?

L’engouement pour les cryptomonnaies correspond à la défiance croissante des citoyens face aux institutions telles que les banques centrales et les banques de détail traditionnelles.

Le sud-américain Decentraland et le français The Sandbox sont deux univers immersifs liés à la blockchain et déjà connus dans le secteur des cryptomonnaies. Celles-ci ont d’ailleurs vu leur valeur doubler, voire tripler en novembre 2021 (1), relançant ainsi l’intérêt des investisseurs pour les mondes virtuels.

D’autres plateformes d’échange de cryptomonnaies comme Crypto.com veulent lancer leur propre métavers afin de capter le maximum d’investisseurs. Pour cela, elles proposent des services de plus en plus complets. Elrond, soutenue par son partenariat avec Bloktopia, prépare un projet de bridge permettant de faire transiter les jetons NFT et les cryptomonnaies entre ces deux écosystèmes. L’échangeur KuCoin se positionne également dans la course et annonce la mise en place d’un fonds d’investissement de 100 millions de dollars pour développer son métavers.

Parmi les projets plus confidentiels, OVR est sans doute le plus stratégique à l’heure actuelle. Avec son mélange de réalité augmentée et d’univers virtuel, il démultiplie les possibilités pour les futurs investisseurs : en effet, on peut être virtuellement possesseur d’une parcelle de la carte du monde, et même la louer pour des événements. La société pratique des investissements titanesques pour effectuer les mises à jour et rendre ainsi son univers plus attrayant.

Enfin, Microsoft promet de transformer nos réunions de travail sur Teams en réunions hybrides entre participants physiquement présents et hologrammes représentant des participants à distance à l’aide d’un casque virtuel et d’une tenue haptique. Nous n’avons jamais été aussi proches d’un rêve vieux comme l’humanité, celui de la téléportation…

Des problématiques inédites

Pour autant, le métavers suscite de nouvelles préoccupations. Qui va jouer le rôle de modérateur dans ce nouvel univers où tout semble permis ? En effet, le métavers se présente comme un espace de liberté totale : approche horizontale et dérégulée, absence de l’intervention de l’État… Les comportements interdits dans le monde réel (harcèlement, criminalité, extrémisme…) risquent de se reproduire dans la réalité virtuelle alors même que des manquements au contrôle des publications sur des réseaux sociaux comme Facebook, Instagram et Twitter sont régulièrement relayés par la presse. Selon son Chief Technical Officer, Meta pourrait ainsi consacrer jusqu’à 50 millions de dollars aux travaux sur les enjeux éthiques de l’entreprise (2). L’une des pistes radicales consiste à exiger la levée de l’anonymat grâce à des preuves d’identité – y compris biométriques – au moment de l’inscription dans un métavers afin de transformer les usagers en justiciables potentiels.

Par ailleurs, il existera probablement une concurrence entre les métavers. On parle déjà de « multivers » avec des canaux dédiés à la culture, aux loisirs, à une seconde vie… Certains professionnels comme David Ambrosino y voient l’occasion de développer de manière innovante l’assise des tiers de confiance comme les notaires et donc de renforcer la sécurité juridique des citoyens.

Les problèmes énergétiques, désormais incontournables, se posent d’autant plus pour le métavers qui est extrêmement consommateur en termes de stockage sur les serveurs. On pourrait également évoquer les sujets de protection des données personnelle, de santé, de fracture numérique, d’éducation des enfants et des adolescents, d’abolition des frontières entre monde réel et monde virtuel…

Finalement, la question principale que soulève le métavers est la suivante : comment conserver l’intérêt de la « vraie vie » face à cette offre pléthorique ? Le métavers ne servira-t-il pas de refuge émotionnel aux plus fragiles ? La sphère professionnelle fait déjà face à un bouleversement sans précédent aggravé par la pandémie récente. À l’heure du big quit (grande démission) et du quiet quitting (démission silencieuse), deux phénomènes mondiaux, la population active risque de délaisser encore plus les emplois qui soutiennent l’économie réelle pour tenter leur chance dans le nouvel eldorado du métavers alors nous avons plus que jamais besoin de retrouver collectivement du sens.

(1) Source : beincrypto, 09/04/2022

(2) Source : Numerama, 15/11/2021

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Euro Numérique : la riposte de la Banque Centrale Européenne face aux cryptoactifs

Florence Baldo
Ingénieure conseil

Les dernières révolutions monétaires mondiales remontent à l’invention de la monnaie-papier en 1716 par John Law et bien sûr à la création de l’euro en 1999. Cependant, depuis quelques années, les cryptoactifs ont envahi le paysage des paiements au grand dam des États qui y voient une perte de souveraineté vertigineuse. Absence de régulation, financement d’activités illégales, conséquences écologiques désastreuses… le bitcoin a mauvaise presse auprès des politiques, et pourtant sa popularité ne cesse de grandir. La pandémie de covid-19 a encore accentué ce phénomène tandis que les besoins en paiements électroniques ont explosé en raison des commandes en ligne.

Face à cette situation, la Banque Centrale Européenne a lancé un projet ambitieux : une phase d’étude de deux ans pour explorer les conditions nécessaires à la création d’un euro numérique à partir d’octobre 2021. Cette initiative de grande ampleur lui permettrait d’entrer en concurrence avec les cryptoactifs, faute de pouvoir les réguler frontalement, et de renationaliser un euro submergé par la création de monnaie. Si les bénéfices peuvent être nombreux, plusieurs limites émergent déjà. La reconquête de la souveraineté monétaire s’annonce comme un chemin de croix à l’issue aussi incertaine que passionnante.

Faire de l’Euro numérique une nouvelle poche monétaire : un projet d’une ampleur inédite

La Chine et les Etats-Unis travaillent depuis longtemps à la mise en place de leur monnaie numérique, mais la BCE a longtemps hésité avant de se lancer. Pour cela, elle a consulté de nombreux citoyens ainsi que des milliers de professionnels au sein de l’Union. Son objectif ? Créer un moyen de paiement virtuel aussi efficace qu’un cryptoactif mais beaucoup plus sûr et surtout plus stable.

Les euros numériques seront stockés dans un portefeuille propre à chaque particulier ou entreprise. Au début, le montant attribué serait limité à 3 000 euros sous forme de jetons ou tokens. Ces droits pourraient ensuite évoluer en fonction des besoins et de l’adhésion des acteurs. Les technologies envisagées sont notamment les TIPS (TARGET Instant Payment Settlements), validés par la BCE et utilisés en Italie depuis 2018. Ainsi, l’instantanéité des paiements ne sera plus l’apanage exclusif des Fintechs et des banques… Les systèmes devraient être capables d’absorber 40 000 transactions par minute pour accompagner l’augmentation du volume des paiements en ligne.

Cependant, même si une suite était donnée à cette phase préparatoire, l’euro numérique ne verrait pas concrètement le jour avant 2025 ou 2026.

Des bénéfices évidents pour une Union européenne en quête d’affirmation

L’euro numérique permet à la BCE de répondre à plusieurs problèmes : tout d’abord, même si certains courants du libéralisme ne sont pas d’accord, l’émission de monnaie est historiquement une fonction régalienne. Remettre l’euro au centre de l’Union européenne en l’asseyant sur un socle technologique solide serait une réussite incontestable en ces temps de création monétaire excessive.

Ensuite, au-delà de la dimension symbolique, cela permettrait de consolider l’économie en sécurisant les paiements et les transactions, y compris les plus délicates. Le corollaire se trouve bien entendu dans la limitation des activités illégales et la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme : les déclarations fiscales, la perception de la TVA, les acquisitions immobilières… Tout serait simplifié et tracé.

La BCE souligne également le caractère écologique de l’euro numérique par rapport au bitcoin, immense consommateur d’énergie. Cependant, il s’agit d’une simple déclaration à ce stade : aucun détail n’est fourni quant à la mise en œuvre concrète.

Enfin, l’euro numérique constituerait un ultime pied-de-nez aux cryptoactifs caractérisés par une croissance désordonnée, une volatilité importante et de nombreux aléas technologiques. Cette stabilité n’est pas pour autant garantie par un adossement aux réserves de la BCE. Cette dernière a précisé le montage dans un rapport de 2020 : « des intermédiaires privés supervisés seraient les mieux placés pour fournir les services auxiliaires, adaptés aux utilisateurs, et pour élaborer de nouveaux modèles d’activité à partir de [la] fonctionnalité de base [de l’euro numérique]. »

Le succès de l’euro numérique est-il garanti ?

Si les intentions sont louables, la réalité sera peut-être tout autre. La faiblesse des droits initiaux (3 000 euros) risque de compliquer l’adhésion lors du lancement. Ce paramètre peut évoluer d’ici là, d’autant que l’euro numérique ne comporte pas le même caractère spéculatif que les cryptoactifs.

La BCE, consciente de l’importance de la fracture numérique, soutient que les espèces ne disparaîtront pas pour autant, ce qui met à mal l’argument de la lutte contre la fraude : en effet, celle-ci est, pour ses plus gros volumes au moins, le fait de l’argent liquide, entre travail dissimulé et trafics divers.

Certains spécialistes relèvent également une potentielle atteinte à la vie privée : à terme, les citoyens européens auraient tous, d’une certaine façon, “un compte à Francfort » (1) qui pourrait être scruté dès le premier euro. Une perspective rassurante pour une Union désireuse de mieux contrôler les flux et les stocks de capitaux, et donc ses ressortissants…

La principale limite identifiée concerne la technologie blockchain sur laquelle reposerait l’euro numérique : elle est encore peu mature à l’échelle industrielle et il n’est pas prouvé qu’elle puisse absorber le volume prévisionnel de paiements ni même qu’elle soit plus écologique que le bitcoin. Cette incertitude pèse beaucoup sur ce projet qui ne peut se permettre d’être un échec.

Enfin, rien ne garantit que l’euro numérique aura la faveur du public. La multiplication des initiatives privées brouille les pistes : ainsi, Meta (ex-Facebook) réactive son Libra sous le nom évocateur de “Diem” et Amazon est sur le point de transformer l’essai en 2022 en créant sa propre cryptomonnaie pour ses clients, toujours plus nombreux. En 2020, le volume des ventes de la firme américaine a été estimé à 475 milliards de dollars par l’agence Marketplace Pulse Research !

Le concept est donc révolutionnaire mais risqué : redorer le blason européen avec une monnaie ni sonnante ni trébuchante, mais répondant aux exigences du jour. Est-ce que cela représentera enfin le grand retour des devises souveraines et le recul des actifs douteux, eux-mêmes en pleine mutation ? Certains détracteurs soulignent le risque de déflation, de récession, voire d’“hélicoptère monétaire”, pour reprendre la célèbre métaphore de l’économiste Milton Friedman. L’absence d’adossement direct aux réserves de la BCE pourrait aussi fragiliser cet édifice incertain.

Un premier bilan fin 2022 devrait permettre de voir plus clair dans cette entreprise titanesque. Nous ne manquerons pas de suivre ce feuilleton de près et de vous faire part de tous les rebondissements qu’il implique pour le monde, l’Europe et la France.

(1) Bruno Colmant, CEO de Degroof Petercam dans L’Écho, 17 juillet 2021.

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Les cryptomonnaies à l’épreuve du piratage : le cas Poly Network

Thibault CHEVALIER
Associé

Le 10 août 2021, les utilisateurs de la plateforme d’échange de cryptomonnaies Poly Network se sont fait voler l’équivalent de 611 millions de dollars. Le nom de Poly Network n’était jusque-là pas très connu mais ce piratage a mis en lumière les nombreux risques qui pèsent sur le secteur de la finance décentralisée.

Qu’est-ce que la finance décentralisée ? Pourquoi le secteur est-il soumis à un risque de sécurité croissant ? Comment celui-ci pourrait-il gagner en maturité et s’imposer comme une alternative au système financier classique centralisé ?

Poly Network et la finance décentralisée

La finance décentralisée est un mouvement récent qui vise à utiliser la technologie blockchain pour proposer toujours plus de services financiers classiques (prêts, assurances, épargne, etc.) sans recourir à une entité centralisée comme une banque, un courtier ou une Fintech. L’avantage de cette technologie réside dans la réduction des coûts d’intermédiation, le gain de temps et la fiabilité.

L’une des applications de la finance décentralisée est le change de monnaie : au lieu de recourir à un organisme de change classique, les plateformes comme Poly Network mettent directement en relation les utilisateurs souhaitant échanger différentes cryptomonnaies.

Le piratage, un révélateur des problèmes de sécurité pesant sur le secteur

Grâce à une faille dans le code d’un smart contract, c’est-à-dire un contrat numérique qui s’exécute automatiquement, le pirate a réussi à accéder aux portefeuilles des utilisateurs pour leur subtiliser leurs cryptomonnaies. La majorité des cryptomonnaies volées sont des Ethereum, Binance Coin et USDC, des cryptomonnaies par ailleurs très populaires et utiles dans l’écosystème global.

Le pirate s’est exprimé et affirme avoir effectué cette attaque en tant que “hacker éthique” pour souligner les risques inhérents à la sécurité de ces plateformes d’échange décentralisées. Par la suite, il a restitué tous les fonds et s’est vu offrir un poste de Responsable de la Sécurité au sein de Poly Network ainsi qu’une récompense de 500 000 dollars.

La “DeFi” (Decentralized Finance) doit gagner en maturité pour conserver la confiance des utilisateurs

Le secteur de la finance décentralisée a connu une croissance très importante en 2020. En août 2021, la valeur totale des liquidités placées sur les plateformes est de 80 milliards de dollars contre 6 milliards un an auparavant. Cette effervescence combinée à la faible maturité technologique du secteur et à l’absence de régulation protégeant les utilisateurs attire naturellement les pirates.

Au début de l’émergence des cryptomonnaies, les plateformes d’échange centralisées étaient la cible de nombreuses cyberattaques. La vague de 2014 a conduit à la faillite de plusieurs d’entre elles comme Mt. Gox et a permis d’éliminer les acteurs les moins sécurisés et les moins matures du marché. A leur tour, les plateformes d’échanges décentralisées telles que Poly Network, Uniswap, 1inch, etc. connaissent cette phase de sélection naturelle. Aujourd’hui, les plateformes d’échanges centralisées qui semblent avoir démontré leur fiabilité sont Coinbase ou Kraken.

Quoiqu’il en soit, si la finance décentralisée veut s’imposer et continuer à attirer des utilisateurs, elle doit remédier à ses problèmes techniques tout en proposant un cadre réglementaire protecteur. Or, suite au piratage de Poly Network, le régulateur américain a déclaré qu’il allait se pencher sur la question dans les meilleurs délais.

La finance décentralisée dans le radar du régulateur

Gary Gensler, le président de la Securities and Exchange Commission (SEC), a indiqué qu’il adopterait une position ferme concernant les acteurs de la finance décentralisée. D’après lui, les plateformes telles que Poly Network tombent sous le coup de la loi américaine sur les valeurs mobilières : il appelle donc le Congrès à légiférer pour encadrer cette activité. Cela permettrait notamment de sanctionner les plateformes d’échange n’ayant aucune licence pour exercer et de contrôler la nature des cryptomonnaies échangées sur les plateformes (securities, commodities…).

En dehors des Etats-Unis, la finance décentralisée ne constitue pas encore une priorité dans l’agenda politique. Un porte-parole de la FCA (Financial Conduct Authority), l’organisme de régulation financière britannique, a déclaré qu’une grande partie du secteur de la finance décentralisée n’était pas encore réglementée à ce stade sans que cela ne soit problématique.

Pour certains analystes, une réglementation plus stricte est inévitable, et l’on peut espérer que les différents acteurs de la finance décentralisée puissent relever les nombreux défis technologiques et réglementaires qui les attendent pour s’imposer in fine comme une alternative viable au système financier actuel, centralisé mais relativement inefficace.

Robotic Process Automation

La Robotic Process Automation : un outil d’optimisation à toute épreuve ?

Lydie Dagnet
Consultant

La généralisation des robots pour les process à faible valeur ajoutée permet de fortes réductions des coûts, mais suppose des contraintes structurantes.

Dans l’imaginaire collectif, l’utilisation de robots en entreprise renvoie encore souvent au mythe du remplacement de l’homme par la machine, à la réduction drastique des effectifs humains au profit de robots travaillant 24h/24 et 7 jours/7 sans discontinuer et à moindres coûts. D’autres s’imaginent l’entreprise « rêvée » où les problématiques de management de l’humain s’estomperaient peu à peu au profit de l’efficacité et des performances de la machine. La notion de robotisation attise autant les craintes que les passions. Mais cette façon de penser l’automatisation ne tient-elle pas plus du fantasme que du réel ?

Aujourd’hui encore, très peu d’acteurs clés au sein des organisations ont une vision claire et précise de ce que recouvre vraiment la notion d’automatisation robotisée des processus. Il en devient alors difficile pour eux d’envisager les impacts qu’elle pourrait avoir sur leur organisation, de démêler le vrai du faux et de comprendre si sa mise en place peut représenter un véritable gain ou si elle doit être reléguée au rang de simple gadget dans l’air du temps.

Avant de répondre à ces questions, intéressons-nous tout d’abord à ce qu’est vraiment l’automatisation robotisée des processus.

Qu’est-ce que l’automatisation robotisée des processus, ou Robotic Process Automation ?

Il s’agit de l’utilisation de robots (ou « bots logiciels ») pour la réalisation de tâches normalement effectuées par l’homme. Il s’agit d’automatiser des processus métiers existants et de libérer les opérationnels de ces tâches souvent jugées rébarbatives et sans valeur ajoutée pour qu’ils se concentrent sur des tâches plus valorisantes. Le recours aux robots pourra également être envisagé dans le cadre de processus complexes impliquant la manipulation de volumes importants de données.

Il existe différents types de RPA :

● La Robotic Desktop Automation (RPA attended)

Dans ce cas, le robot est paramétré pour effectuer la tâche à la place de l’opérationnel. L’automatisation de la tâche se fait sur le poste de travail même de l’opérationnel, dans le respect des processus métier existants (ouvrir une fenêtre, lire et collecter des données, exécuter une transaction…). Lorsqu’une tâche nécessite une prise de décision (comme faire un choix entre différentes solutions ou gérer une exception au processus métier), le robot rend la main à l’opérationnel. Une fois que l’humain a complété l’action que le robot n’a pas pu réaliser seul, il lui est possible de rendre la main au robot qui reprend alors l’automatisation.

Dans ce premier cas, il y a en quelque sorte une collaboration entre le robot et l’humain. Ce dernier n’intervient que lorsque la tâche à réaliser nécessite une intelligence, une expérience, les tâches à faible valeur ajoutée étant entièrement ou partiellement déléguées au robot.

Le mode attended est utile lorsque le processus ne peut pas être exécuté de bout en bout par un robot, pour les cas de figures où l’intervention de l’humain reste nécessaire. Par exemple, dans un centre d’appel, un conseiller clientèle tout en se concentrant sur l’appel d’un client, peut être aidé par un robot qui s’occupera de la récupération de données clients dans une application pour les saisir dans une seconde application. Le robot s’occupe de réaliser ces transactions simples alors que le conseiller peut privilégier la qualité de la relation client en se concentrant sur l’écoute de ce dernier et la résolution de son problème.

Ce niveau d’automatisation est rapide à mettre en œuvre car il a peu d’impact sur le SI. Le robot intervient sur la machine de l’opérationnel, en utilisant les interfaces et les processus existants.

● Robotic Process automation (RPA Unattended)

Dans ce second cas, il n’y a plus d’intervention de l’humain. De manière autonome, le robot effectue toutes les tâches pour lesquelles il a été programmé. Il s’agit généralement du lancement d’opérations par batch (exemple : saisie de données clients à partir de fichiers dans plusieurs applications). Le bon déroulement du processus et le traitement des alertes d’exécution sont eux-mêmes contrôlés par un autre robot à même de corriger les éventuelles erreurs et de relancer le processus.

Les modes attended et unattended ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. Au contraire, une parfaite intégration de la RPA dans une organisation, quel que soit son domaine d’activité, prendra en compte ces deux modes d’automatisation. Le mode attended ayant pour vocation à optimiser les tâches pour lesquelles l’intervention de l’humain reste nécessaire, le second mode d’automatisation (unattended) étant intéressant pour tout ce qui concerne la performance et l’optimisation des coûts sur toute une gamme d’activités de Back Office.

Quels gains pour l’entreprise ?

Le recours à la RPA permet de diminuer le temps passé par l’homme à réaliser des tâches répétitives, limiter le risque d’erreurs et augmenter la satisfaction client.

La RPA visant à automatiser des processus, il est nécessaire que ceux-ci soient existants, cartographiés, stables et pérennes.

En effet, le recours à la RPA visant à gagner en efficacité tout en améliorant les processus existants, ce couple efficacité/amélioration ne sera atteint que si les processus à automatiser sont clairement identifiés et cartographiés. La RPA déploiera toute son efficacité dans les organisations qui auront fait ce travail d’analyse et de cartographie des processus existants en amont de la phase projet. A contrario, son efficacité sera très limitée dans les organisations où la documentation des processus est parcellaire et/ou devenue obsolète suite à la mise en place de nouvelles règles de gestion n’ayant pas été documentées. Dans ce second cas, il sera plus difficile d’identifier et de distinguer, de manière exhaustive, les tâches pouvant faire l’objet d’une automatisation et celles nécessitant l’intervention de l’homme. D’autre part, les processus n’ayant pas fait l’objet d’un mapping exhaustif sont souvent des processus complexes qui gagneraient à être simplifiés. L’automatisation de tels processus en l’état est très complexe pour un ROI souvent limité.

Les organisations qui envisagent la RPA gagneront à prendre le temps de mettre à plat l’ensemble de leur processus avant le lancement d’un tel projet. Cette mise à plat permettant alors d’identifier d’éventuelles failles et axes d’amélioration, voire une simplification. Ce qui aura été fait en amont ne sera plus à faire en aval. Sur le long terme, la réalisation des tâches par les robots permettra d’identifier d’autres axes d’améliorations et d’éventuels points de blocage à corriger.

La fidélisation des salariés

Loin de remplacer les salariés, la délégation de tâches répétitives et à faible valeur ajoutée leur permet de se concentrer sur des tâches plus valorisantes. Le salarié peut alors se concentrer sur l’amélioration de l’expérience client par exemple. Il participe également à l’optimisation des processus existants en identifiant les axes d’amélioration et les éventuels goulets d’étranglement. Libéré de tâches souvent chronophages, il pourra également se former sur de nouveaux sujets et monter en compétences sur d’autres fonctions. Selon une étude réalisée en février 2019 par Forester Consulting à la demande de UiPath (leader du secteur des logiciels d’automatisation des processus robotiques), 60 % des personnes interrogées pensent que la RPA aide les collaborateurs à se concentrer sur des tâches plus stratégiques.

L’automatisation, dès lors qu’elle est comprise par l’entreprise et les salariés, peut présenter un atout non négligeable pour la fidélisation tant des clients que des salariés. La réussite de l’intégration de la RPA doit tenir compte à la fois de la dimension humaine et psychologique du changement. La DSI, les Ressources Humaines et le Management doivent travailler de concert avec les opérationnels pour que l’expérience soit fructueuse.

Réduction du nombre d’erreurs et « best practices »

Comme vu plus haut, l’automatisation des processus nécessite la mise à plat des processus existants afin que les robots soient paramétrés pour réaliser les tâches qui leur sont déléguées de manière autonome. Les processus doivent être clairement identifiés et leur mise à plat permettra éventuellement leur optimisation. Le robot ne se trompant jamais dans la réalisation des tâches qui lui sont déléguées et la saisie des informations, le nombre d’erreurs est de ce fait réduit et aura des conséquences positives sur la traçabilité, le contrôle des processus et la conformité. Le recours à la RPA permettra à l’entreprise de réduire les risques d’erreurs et de garantir la mise en application des meilleures pratiques.

La satisfaction client

Par ricochet, l’absence d’erreurs permet d’augmenter la satisfaction client, dont les demandes sont traitées plus rapidement et avec plus d’efficacité. Pour les transactions ne nécessitant pas l’intervention de l’humain, les services deviennent accessibles 24h/24 et 7 jours/7. Le respect des délais est assuré et le client peut avoir une vision claire de l’avancement du traitement de ses demandes. La délégation permet également aux équipes d’être plus disponibles et donc de libérer du temps pour la relation client. Pour l’entreprise comme pour le client, la fidélisation et la satisfaction sont des atouts non négligeables.

Les exemples cités ne sont pas exhaustifs et la RPA peut présenter bien des atouts pour les organisations qui l’envisagent, quel que soit leur secteur d’activité. Pour autant, ces gains sont conditionnés à une préparation, une anticipation et un accompagnement, tant sur le plan purement organisationnel que sur le plan humain.