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Métavers : quelle place pour les institutions financières ?

Emanuela Azouzi-Popa
Consultante
Florence Baldo
Ingénieure Conseil

Le 28 octobre 2021, Mark Zuckerberg a annoncé que Facebook changeait de nom pour devenir « Meta », en référence au métavers. Ce néologisme, décalqué de l’anglais metaverse, provient selon David Ambrosino, Président du Conseil Supérieur du Notariat, de la contraction du préfixe grec meta, qui signifie « au-delà de », et de l’anglais universe. C’est donc un monde au-delà du réel, un monde virtuel dans lequel la réalité physique et la réalité virtuelle augmentée ont été fusionnées. Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron a également insisté sur l’urgence de la création d’un métavers européen. Quelle réalité se cache derrière ces nouvelles initiatives ? Peut-on déjà en estimer les impacts ? Comment le métavers peut-il influencer nos modes de vie ?

S’il est trop tôt pour le dire, nous vous proposons un premier décryptage de ce phénomène révolutionnaire. Origines, applications, intérêts financiers… Demain, vivrons-nous tous des vies parallèles dans le métavers ?

Un concept plus ancien qu’on pourrait le penser

Le métavers peut se définir comme un monde virtuel en trois dimensions dans lequel il est possible de se réunir pour interagir, étudier, jouer, faire des achats et même travailler. Considéré par certains experts comme la prochaine évolution majeure d’Internet, il s’inscrit pourtant dans un mouvement issu des années 1990. En effet, l’écrivain Neal Stephenson a décrit pour la première fois dans son roman Snow Crash (publié en 1992 et traduit en français sous le nom Le Samouraï virtuel) un monde futuriste interfacé avec le monde réel.

Par la suite, de nombreuses entreprises se sont inspirées de cette idée pour créer des communautés en ligne. Second Life, lancé en 2003, permet à ses utilisateurs d’incarner des personnages dans un monde en 3D créé par les résidents eux-mêmes, un peu comme le jeu Sims. Présentés sous forme d’avatars réalistes, les résidents assistent notamment à des concerts en live et discutent comme dans un tchat.

En 2017, le célèbre jeu vidéo Fortnite révolutionne le marché de la réalité virtuelle.

L’année 2021 marque un tournant décisif dans le développement du métavers : avec 10 milliards de dollars d’investissement annoncés par Mark Zuckerberg, le recrutement de 10 000 profils hautement qualifiés et le lancement d’un nouveau logo ressemblant au signe mathématique de l’infini, il s’agit d’une disruption inédite dans le secteur mondial de la technologie.

Comment se présente le métavers ?

Le métavers est un environnement virtuel et immersif en trois dimensions. Pour y accéder, il suffit d’un ordinateur personnel, d’une connexion internet stable et d’un casque de réalité virtuelle.

On peut y pratiquer les mêmes activités que dans la vie réelle ou presque : assister à un événement sportif, participer à des réunions de travail avec des collègues à l’autre bout du monde, acheter des articles dans des rayons en 3D et même investir dans l’immobilier. Adidas a prévu d’y commercialiser ses célèbres baskets, et de nombreuses stars comme le rapper Drake ont acquis des terrains et fait monter les prix des parcelles situées à proximité.

Avec le rachat d’Oculus VR pour maîtriser ses propres périphériques de réalité virtuelle et la création de workrooms (en français : salles de travail), une alternative à la visioconférence, Meta entend faire oublier le modèle économique du réseau social qui repose sur la publicité ciblée. Le groupe cherche également à présenter son nouvel univers comme une plate-forme d’apprentissage d’une ampleur inédite, un peu comme un e-learning géant.

Quels sont les enjeux financiers du métavers ?

L’engouement pour les cryptomonnaies correspond à la défiance croissante des citoyens face aux institutions telles que les banques centrales et les banques de détail traditionnelles.

Le sud-américain Decentraland et le français The Sandbox sont deux univers immersifs liés à la blockchain et déjà connus dans le secteur des cryptomonnaies. Celles-ci ont d’ailleurs vu leur valeur doubler, voire tripler en novembre 2021 (1), relançant ainsi l’intérêt des investisseurs pour les mondes virtuels.

D’autres plateformes d’échange de cryptomonnaies comme Crypto.com veulent lancer leur propre métavers afin de capter le maximum d’investisseurs. Pour cela, elles proposent des services de plus en plus complets. Elrond, soutenue par son partenariat avec Bloktopia, prépare un projet de bridge permettant de faire transiter les jetons NFT et les cryptomonnaies entre ces deux écosystèmes. L’échangeur KuCoin se positionne également dans la course et annonce la mise en place d’un fonds d’investissement de 100 millions de dollars pour développer son métavers.

Parmi les projets plus confidentiels, OVR est sans doute le plus stratégique à l’heure actuelle. Avec son mélange de réalité augmentée et d’univers virtuel, il démultiplie les possibilités pour les futurs investisseurs : en effet, on peut être virtuellement possesseur d’une parcelle de la carte du monde, et même la louer pour des événements. La société pratique des investissements titanesques pour effectuer les mises à jour et rendre ainsi son univers plus attrayant.

Enfin, Microsoft promet de transformer nos réunions de travail sur Teams en réunions hybrides entre participants physiquement présents et hologrammes représentant des participants à distance à l’aide d’un casque virtuel et d’une tenue haptique. Nous n’avons jamais été aussi proches d’un rêve vieux comme l’humanité, celui de la téléportation…

Des problématiques inédites

Pour autant, le métavers suscite de nouvelles préoccupations. Qui va jouer le rôle de modérateur dans ce nouvel univers où tout semble permis ? En effet, le métavers se présente comme un espace de liberté totale : approche horizontale et dérégulée, absence de l’intervention de l’État… Les comportements interdits dans le monde réel (harcèlement, criminalité, extrémisme…) risquent de se reproduire dans la réalité virtuelle alors même que des manquements au contrôle des publications sur des réseaux sociaux comme Facebook, Instagram et Twitter sont régulièrement relayés par la presse. Selon son Chief Technical Officer, Meta pourrait ainsi consacrer jusqu’à 50 millions de dollars aux travaux sur les enjeux éthiques de l’entreprise (2). L’une des pistes radicales consiste à exiger la levée de l’anonymat grâce à des preuves d’identité – y compris biométriques – au moment de l’inscription dans un métavers afin de transformer les usagers en justiciables potentiels.

Par ailleurs, il existera probablement une concurrence entre les métavers. On parle déjà de « multivers » avec des canaux dédiés à la culture, aux loisirs, à une seconde vie… Certains professionnels comme David Ambrosino y voient l’occasion de développer de manière innovante l’assise des tiers de confiance comme les notaires et donc de renforcer la sécurité juridique des citoyens.

Les problèmes énergétiques, désormais incontournables, se posent d’autant plus pour le métavers qui est extrêmement consommateur en termes de stockage sur les serveurs. On pourrait également évoquer les sujets de protection des données personnelle, de santé, de fracture numérique, d’éducation des enfants et des adolescents, d’abolition des frontières entre monde réel et monde virtuel…

Finalement, la question principale que soulève le métavers est la suivante : comment conserver l’intérêt de la « vraie vie » face à cette offre pléthorique ? Le métavers ne servira-t-il pas de refuge émotionnel aux plus fragiles ? La sphère professionnelle fait déjà face à un bouleversement sans précédent aggravé par la pandémie récente. À l’heure du big quit (grande démission) et du quiet quitting (démission silencieuse), deux phénomènes mondiaux, la population active risque de délaisser encore plus les emplois qui soutiennent l’économie réelle pour tenter leur chance dans le nouvel eldorado du métavers alors nous avons plus que jamais besoin de retrouver collectivement du sens.

(1) Source : beincrypto, 09/04/2022

(2) Source : Numerama, 15/11/2021