Ingénieure conseil
Le nouveau standard européen est porteur de sens mais révèle les disparités à l’œuvre au sein de l’Union.
Finance et développement durable n’ont pas toujours fait bon ménage : dans l’esprit des professionnels comme dans celui du grand public, la corrélation entre performance des actifs et « sustainability » n’existe que depuis les années 1990-2000, avec l’apparition des premiers fonds intégrant à part entière les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance). Si des progrès considérables ont été effectués concernant ces deux dernières catégories, qui semblent reposer sur des critères objectifs et quantifiables, la question environnementale demeure la plus épineuse, en particulier dans le contexte européen : la nouvelle taxonomie verte est supposée remédier à cette situation d’ici 2022, avec pour objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. C’est sans compter la difficulté à trouver un consensus autour de ce que sont les actifs dits « bas carbone » pour des pays européens déchirés sur la question de la transition écologique. La bataille des lobbies fait rage, et la dimension éminemment politique du sujet brouille la mise en place opérationnelle pour les gestionnaires d’actifs.
Un système de classification des activités « vertes »
Le plan d’action pour la Finance Durable de la Commission Européenne est issu d’une recommandation du Conseil européen relative à la création d’une taxonomie verte, c’est-à-dire un système de classification commun pour évaluer la durabilité de 70 activités économiques, représentant 93 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne, permettant de définir quels sont les actifs durables. Pour obtenir ce label, les actifs devront respecter au moins l’un des six objectifs environnementaux de l’Union européenne :
● Atténuation du changement climatique
● Adaptation au changement climatique
● Utilisation durable et protection des ressources hydrologiques et marines
● Transition vers une économie circulaire
● Prévention et contrôle de la pollution
● Protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes
Les critères sociaux et de gouvernance devront également être pris en compte.
Le Parlement européen préconisait également l’exclusion des activités liées au secteur du nucléaire et du charbon, ce qui n’a pas été relayé par la Commission européenne. Les États membres contribueront au débat par le biais de groupes d’experts (Technical Expert Group on Sustainable Finance ou TEG) et la mise en place d’une plateforme sur la finance durable. Leurs travaux portent sur :
1. Le reporting extra-financier des entreprises, qui permet de récolter des informations très détaillées sur les actions mises en place par les sociétés avant d’y investir
2. La définition d’un standard sur les Green Bonds
3. L’intégration du climat dans les indices financiers européens, afin de privilégier les énergies renouvelables au détriment des énergies fossiles
Or, ce dernier point est particulièrement sensible au sein de l’Union européenne, rarement à l’abri de dissensions.
Un difficile consensus autour d’un sujet très politique
La mise en place de la taxonomie verte oblige toutes les entreprises et tous les établissements financiers à transpariser les impacts positifs et négatifs de leurs actions et à les justifier. Si l’intention est louable, la réalité du terrain révèle de nombreuses disparités. En ce qui concerne le secteur de l’énergie, les lobbies européens se déchaînent : en effet, comment définir objectivement ce qu’est une énergie bas-carbone ? EDF milite pour la classification du nucléaire dans cette catégorie, tandis que les Allemands défendent le gaz comme la meilleure énergie de transition. Les Polonais sont toujours fortement dépendants du charbon… L’acceptation de telle ou telle énergie dépend des seuils d’émission de CO2 définis par l’Union européenne, ce qui déclenche l’hostilité des pays souhaitant pouvoir en garder une définition nationale.
Par ailleurs, certaines associations financières militent clairement contre le projet de taxonomie verte qu’ils estiment liberticide. Un nombre restreint d’acteurs financiers français et européens (Aviva, Groupe BPCE, BNP Paribas, BBVA, AXA et Allianz) plaident pour une acceptation sans condition du projet, mais les associations de sociétés de gestion, des marchés financiers, des banques, etc. sont favorables à une adoption sur la base du volontariat, avec une focalisation sur les fonds dédiés à la finance durable.
De manière inattendue, la taxonomie verte est devenue un sujet politique qui pourrait s’étendre à la classification de l’ensemble des produits financiers à moyen terme. Anne-Catherine Husson-Traoré, Directrice Générale de Novethic, explique : « La bataille de la taxonomie montre, une fois de plus, la difficulté à faire émerger une stratégie climat portée et soutenue par une Europe unie alors qu’elle négocie pourtant d’une seule voix au sein des COP, celle de l’Union européenne ! ».
Les impacts organisationnels pour les gestionnaires d’actifs
Si les gestionnaires d’actifs maîtrisent bien le reporting de performance classique, le reporting extra-financier se révèle plus récent et plus complexe. La mise en place de la nouvelle taxonomie verte suppose de mettre à jour les systèmes de référentiels liés aux actifs afin de produire le reporting le plus fiable possible. Dans cette perspective, cela suppose que les experts se soient mis d’accord en amont sur la définition des indices, et notamment des indices climatiques. Comme vu précédemment, les Français, les Allemands et les Polonais sont en désaccord sur le type d’énergie à privilégier.
Tous les indices devront logiquement être reportés dans le détail, et les indices ESG devront être comparés aux indices traditionnels afin de bien expliquer leurs spécificités aux épargnants, pour qui la finance durable reste parfois un concept un peu flou. Les gestionnaires d’actifs doivent donc faire preuve de pédagogie et d’innovation afin de se monter convaincants, tout en se reposant sur des labels éprouvés dans le domaine de l’Investissement Socialement Responsable.
La tentation de qualifier tous ces efforts comme étant du greenwashing est grande pour les climato-sceptiques ou le public peu averti. Afin de remédier à cette situation, la responsabilité incombant au législateur est immense : seul un renforcement des obligations réglementaires permet de standardiser l’information et d’accéder à la meilleure transparence possible. Selon un sondage Odoxa du 17 décembre 2020, 75 % des Français sont prêts à souhaiter inscrire l’écologie dans la Constitution dans le cadre du futur référendum annoncé par le Président Macron. Sont-ils également prêts à changer de paradigme quant à leurs investissements financiers ?
Green bonds : littéralement obligations vertes, parfois appelées obligations environnementales. Il s’agit d’un emprunt obligataire (non bancaire) émis sur les marchés financiers, par une entreprise ou une entité publique (collectivité, agence internationale, etc.) pour financer des projets contribuant à la transition écologique. La différence par rapport aux obligations classiques tient dans les engagements pris par l’émetteur d’une part, sur l’usage précis des fonds récoltés qui doit porter sur des projets ayant un impact favorable sur l’environnement, et, d’autre part, sur la publication, chaque année, d’un rapport rendant compte aux investisseurs de la vie de ces projets (Source : Delphine Cuny, La Tribune, 8 décembre 2017).